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maternelle, le pur anglais des vieux puritains ; il la manie avec un respect presque minutieux et serait évidemment tenté de traiter l’un comme l’autre « l’homicide et le verbicide. » Sous l’écrivain irréprochable, ciseleur d’idées, « épicurien de mots, » on devine le fameux causeur, qui depuis plus d’un demi-siècle est l’orgueil de la ville qu’il habite, l’Athènes américaine, l’académique Cambridge. Les caractères qu’il trace en deux traits, de manière à les rendre vivans, les épisodes intercalés ça et là avec un apparent dédain des faits, à travers le tissu tantôt léger, tantôt solide, toujours brillant et varié du raisonnement et du paradoxe, nous révéleraient le romancier, même si nous n’avions pas là l’émouvante histoire d’Elsie Venner, que pouvait seul imaginer un savant physiologiste épris de psychologie[1].

Comme la plupart des poètes de son pays, le docteur doit a la prose une bonne partie de sa renommée. Il sème souvent les vers comme au hasard à travers ses Essais ; en feuilletant l’Autocrate, par exemple, on trouve trois merveilles de genre différent : the Living Temple, qui mérite d’être comparé à la Paraphrase du dix-neuvième psaume d’Addison ; the Wonderful one Hoss-Shary, dont le tour burlesque, en dépit de l’intention philosophique du fond, ouvrit la voie aux audacieuses fantaisies de Bret Harte, et the Chambered Nautilus, où se trouve exprimée, dans des vers d’une intraduisible harmonie, la certitude du perfectionnement et de l’immortalité. Mais toutes les poésies du docteur Holmes n’ont pas cette élévation ou cette originalité. Il a prodigué des vers de société qui ne peuvent compter que comme jeux d’esprit, comme les effets d’une virtuosité sujette aux fluctuations de la mode. On ne saurait cependant les passer sous silence, car ces petits côtés du talent de Wendell Holmes contribuent à faire apprécier une figure sympathique qui, tout en portant par héritage direct le sceau de l’époque des George, relève plutôt de notre XVIIIe siècle que du XVIIIe siècle anglais d’une correction si compassée. Holmes se garde soigneusement de la pédagogie, tout « poète académique » qu’il soit par excellence. Son œuvre rappelle le vieux temps, comme certains détails d’architecture à Cambridge, à Portsmouth, rappellent les villas de Pope et de Walpole, mais il a l’entrain qui manqua toujours à l’époque formaliste de la culotte courte, nommée par euphémisme la knee-buckle period.

Avant lui, beaucoup de savans, ecclésiastiques ou autres, avaient rimé à Harvard ; on peut dire cependant que, le premier dans ce docte cénacle, Holmes fut réellement poète. son rire, spirituel éveilla un écho sous les voûtes moroses de l’académie ; humoriste, il sut

  1. Elsie Venner ; réduction par E.-D. Forgues, Revue des 15 juin et 1er juillet 1861.