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ancien ministre conservateur, M. Romero Robledo, qui a rompu avec son parti, et d’un des principaux chefs de la gauche dynastique, le général Lopez Dominguez, cette coalition n’a en qu’une médiocre fortune ; elle a plus de généraux que de soldats. Les conservateurs, qui avouent toujours pour chef M. Canovas del Castillo, qui étaient avec lui au pouvoir il y a quelques mois, ont de soixante à soixante-dix élus. Tout bien compté, le chiffre des oppositions réunies n’égale pas celui de la majorité ministérielle, qui est de près de deux cent cinquante membres, et qui, avec l’alliance des constitutionnels amis du général Martinez Campos, de M. Alonso Martinez, ira à trois cents membres dans la nouvelle chambre espagnole.

Au fond, quelle que soit la distribution des partis et quel que soit même le succès relatif des républicains, c’est le sentiment monarchique qui domine dans le nouveau parlement, comme il règne dans le pays, et c’est en s’inspirant de ce sentiment, de cette direction générale de l’opinion, que le ministère peut le mieux assurer sa marche. La situation de l’Espagne n’est point évidemment sans difficulté. Traverser cette crise des débuts d’une minorité, d’une régence inopinément ouverte, concilier une politique libérale et réformatrice avec la nécessité d’affermir les institutions, de les défendre peut-être contre des agressions toujours possibles, contre le danger d’agitations renaissantes, ce n’est point une œuvre aisée. Le président du conseil, M. Sagasta, qui a des traditions libérales et qui est aussi très résolument dynastique, aura sans doute plus d’une lutte à soutenir contre les partis révolutionnaires, impatiens de profiter des circonstances ; il ne trouvera aucune opposition sérieuse parmi les conservateurs, qu’il a remplacés au gouvernement, et dans toutes les mesures intéressant la monarchie il est certain d’avoir l’appui de M. Canovas del Castillo et de ses amis. M. Canovas del Castillo, avant et depuis sa réélection, n’a point caché qu’il était prêt à soutenir le ministère. C’est le sentiment auquel il obéissait, à la mort du roi, en quittant le ministère, en conseillant à la nouvelle régente d’appeler M. Sagasta, avec les libéraux dynastiques, au gouvernement. On lui a reproché cette retraite presque comme une désertion. Il agissait tout simplement en homme d’état prévoyant et désintéressé ; il agit de même aujourd’hui, en chef de parti qui n’abdique pas, qui accepterait sûrement encore les responsabilités du pouvoir, mais qui tient à ne pas diviser les forces de la monarchie constitutionnelle espagnole dans des circonstances difficiles.


CH. DE MAZADE.