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d’analyse et de synthèse, qualités plus rares qu’on ne le pense. Il faut ensuite établir en nombre infini des comparaisons entre les objets réunis dans les collections publiques et privées ou laissés sur place. Pour les siècles les moins reculés, on est soutenu par l’histoire ; pour les siècles précédens, on est aidé par les traditions; au-delà, le savant n’a plus à compter que sur sa science acquise, ses efforts personnels et sa sagacité. Mais alors l’esprit de système et les idées préconçues menacent de fausser les interprétations. Ainsi, c’est aujourd’hui une mode en Allemagne (car la science allemande est sujette à cette maladie intermittente de la mode) d’amplifier le rôle des Phéniciens et de voir partout, non-seulement des poteries, mais aussi des constructions phéniciennes. Quand on aura attribué aux Phéniciens tout le possible et qu’il sera manifestement faux de leur attribuer quelque chose de plus, alors il se produira un revirement, on leur retirera une grande partie de ce qu’on leur confère aujourd’hui et l’on y reconnaîtra la main d’autres races d’hommes ou d’autres peuples.

On a beaucoup de latitude, quand on a franchi dans le passé les limites de l’histoire. Certainement les archéologues futurs qui fouilleront Paris et qui attribueront aux Chinois le quartier des boulevards, s’efforceront d’étayer leur opinion sur des faits pris en d’autres lieux. Par des fouilles bien conduites, ils découvriront des chinoiseries dans d’autres quartiers. De riches curieux, même de jeunes érudits défrayés par leurs gouvernemens, creuseront la terre sur les emplacemens de Lyon, de Marseille et d’autres villes ; ils y trouveront des œuvres d’art chinoises et fixeront les étapes suivies par les Chinois pour arriver jusqu’ici. Puis ces fouilles si curieuses se multiplieront ; tous les pays d’Europe offriront des résultats analogues et l’on triomphera en disant que les Chinois ont joué partout un premier rôle dans notre civilisation. C’est faux, mais probable ; car c’est ce qui se passe en ce moment pour les Phéniciens.

Les études comparatives et sans parti-pris d’archéologie et d’histoire, l’analyse des légendes et des mythes, la recherche de leurs origines et de leur signification, dominent toute interprétation des faits et en retour reçoivent souvent des faits une lumière inattendue. Ces recherches sont elles-mêmes éclairées par l’analyse comparative des langues. En effet, les mythes et les légendes font pour ainsi dire toute l’histoire et la philosophie des temps antéhistoriques, connue ils en sont la religion. Les noms et les termes employés dans les mythes étaient originairement des noms communs et des termes de la langue vulgaire, ayant chacun sa signification. Comme il n’y avait pas alors d’écriture, des figures symboliques on