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terre, à les transformer, à leur faire produire à sa guise ce qui lui est nécessaire et suivant ses besoins.

Les éleveurs exotiques ont cependant, eux aussi, un champ vaste à exploiter : leur rôle leur est tracé par les agriculteurs des mêmes contrées, qui n’ont pas craint de produire trop, de jeter sur tous les marchés du monde trop de céréales, trop de sucre, trop de produits de toutes sortes, et qui ont, par leur témérité, enrichi les entrepreneurs de transports, les intermédiaires, les financiers et, ce qui vaut mieux, eux-mêmes.

Les seuls qui ne nous semblent pas devoir trouver ici d’espérance consolante, ce sont les plus nombreux, les consommateurs. Pour eux, le blé a beau être trop abondant, ils n’en mangent à leur faim qu’à la condition de le payer le même prix que lorsqu’il l’était moins. Il en sera de même toujours de la viande ; son prix s’est toujours élevé, il s’élèvera encore ; il faudra construire encore et aménager des flottes de steamers pour apporter, à travers l’Atlantique, des chargemens de viande qui seront toujours, quoi qu’on fasse, insuffisans à combler, à atténuer même le déficit de France et d’Angleterre. Le jour où, par impossible, on sera parvenu, à force d’efforts, de temps et de capitaux, à satisfaire les demandes de ces deux pays, le déficit se sera de nouveau ouvert sous l’impulsion de consommateurs plus exigeans, et il faudra mettre en œuvre d’autres moyens pour le combler : or la viande n’est pas compressible ; il lui faut son espace, il faut en diviser les masses, de façon à ce que les machines employées puissent la garantir pendant de longues traversées. Il est donc facile de conclure que, pour être résolu en théorie, et admirablement résolu, le problème de l’alimentation de l’Europe par les pays exotiques n’en demeure pas moins fort compliqué et plus plein de promesses pour nos arrière-neveux que pour nous-mêmes.


EMILE DAIREAUX.