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que ces produits n’avaient pas encore subi la baisse récente que-nous avons signalée. Toutes les parties de l’animal y sont utilisées : cuir, suif, cornes, cornillons, sabots, crin, extrémités et déchets destinés aux fabriques de colle, sang pour le guano, intestins que les charcutiers d’Estramadure transforment en boyaux de porc et les luthiers en cordes à violons, enfin la viande salée ; un bœuf produit ainsi environ 100 francs et un mouton 12 : les éleveurs exotiques voudraient pouvoir toujours compter sur ces prix pour eux rémunérateurs.

Malheureusement le produit qui seul peut soutenir cette valeur, la viande salée, le tasajo, voit chaque jour se resserrer les marchés qu’elle avait créés et alimentés depuis un siècle ; l’industrie du sucre, à La Havane, n’enrichit plus le planteur ; le café, à 30 centimes le kilo rendu au Havre, ruine le propriétaire brésilien ; l’un et l’autre en sont réduits à nourrir de haricots rouges et de maïs leurs nègres dont le travail n’est plus rémunérateur, et l’éleveur ne peut plus écouler ses produits. Quelques chercheurs à l’esprit ingénieux, essaient d’introduire en Espagne, depuis deux ans, en France, depuis quelques mois, ce produit tout à fait exotique, le tasajo, que les nègres ne leur prennent plus. C’est une tentative qui ne peut rien produire. Peut-être quelques Brésiliens, de passage en Europe, en achèteront-ils quelques kilos pour se souvenir un instant de leur plat national, la feijoada, mais cela ne constitue pas un marché. Cette viande noirâtre qui, après avoir été séchée, salée, étendue à plusieurs reprises au soleil, et expédiée en vrac, affecte l’aspect de longues lanières, ne réalise pas l’idéal du consommateur européen, qui veut qu’on lui présente un bœuf ou un mouton, après trente jours de traversée, aussi blanc, aussi rose, aussi frais que celui qui sort de l’abattoir municipal.

Cela est-il possible ? Cela est-il réalisé ? Il y a quinze ans, on considérait comme le maximum des desiderata, parvenir à importer-dans les pays de consommation des viandes cuites et mises en boîtes par le procédé Appert ; on faisait aussi, sans succès, quelques tentatives d’exportation d’animaux vivans. Les efforts des Australiens pour imposer les viandes cuites n’eurent que peu de succès malgré l’encouragement, coûteux pour nous, que leur donna le siège de Paris. Seule la marine recourt en temps de paix à cette alimentation d’assiégés, ce qui suffit à entretenir les illusions et à assurer la ruine des quelques fabricans persévérans. Dans le commerce on ne rencontre guère que quelques boites de conserves, venant de l’Uruguay, de Chicago ou d’Australie, trop chères pour-être considérées autrement que comme aliment de luxe.

L’importation des animaux vivans n’a pas été beaucoup plus