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Décrire chacun de ces pays serait tenter un travail impossible ici, et du reste inutile. S’ils peuvent, en effet, surprendre l’observateur, c’est moins par leurs différences que par leurs similitudes. Nous avons tout dit de leur aspect extérieur en décrivant la plaine. Les procédés d’élevage et d’exploitation du troupeau y sont moins différens encore que les aspects de la nature. L’homme même, qu’il parle anglais ou espagnol, vit partout de la même manière, au milieu de ces régions si éloignées cependant les unes des autres qu’elles s’ignorent et n’ont entre elles aucune communication directe : le thé et la viande de mouton dans les pays anglais, la viande de bœuf et le mate dans les pays espagnols, partout l’alcool fourni à tous sous la même forme par les distilleries de grains d’Allemagne et le port de Hambourg ; des huttes partout les mêmes, fermées le plus souvent d’une porte de cuir, couvertes d’un toit de peaux de chevaux, où le cuir remplace gonds, serrures, corde ou fil de fer, où le fit est fait de peaux de moutons et le foyer alimenté par la fiente des animaux, — combustible au reste incomparable, d’une chaleur vive et prompte, et, ce qui étonnera les délicats, presque sans odeur. — Le pasteur a partout pour principe de se suffire à lui-même dans sa solitude, nous savons qu’il dédaigne s’il ne hait les arbres ; il dédaigne autant le travail ; les dépouilles et la chair de ses animaux doivent lui donner abri et subsistance ; c’est le triomphe de l’individualisme, au reste si fort à la mode dans les pays de colonisation, où nulle part le pasteur antique ne retrouverait le type social dédaigné de la tribu.

La seule de ces contrées qui, il y a vingt ans, possédât des troupeaux en nombre et eût un nom, comme pays d’élevage, était la pampa sud-américaine. Il y a trois siècles que les premiers animaux y furent importés[1] par les Espagnols, il y a trente ans à peine que les troupeaux se sont formés au Texas et en Océanie ; mais ces trente dernières années coïncident avec la grande période d’activité internationale : aussi les progrès des pays récemment peuplés ont-ils été assez rapides pour les mettre au niveau de celui dont la célébrité est plus ancienne. L’accroissement y a été si continu que l’Australie possède déjà à peu près autant de troupeaux qu’elle peut en recevoir ; leur nombre augmente presque aussi vite dans les savanes du Texas et les pampas argentines, mais l’étendue de ces territoires est telle que leur peuplement sera l’œuvre de plusieurs générations encore. Qui a donné partout cet élan ? Quelle découverte industrielle l’a

  1. Voir notre étude sur l’Industrie pastorale dans les pampas, dans la Revue du 15 juillet 1875.