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qu’ils repousseraient sans elles, voilà tout. En somme, les alcools du commerce sont plus ou moins purs et, par conséquent, plus ou moins toxiques ; mais les fabricans ont intérêt à les rectifier aussi bien que possible pour économiser sur les droits et sur les frais de transport ainsi que pour satisfaire les consommateurs. Si les prix s’élevaient notablement, les débitans se borneraient à ajouter un peu plus d’eau, et ce serait tout bénéfice pour eux et pour les buveurs.

Les adversaires de l’élévation des droits redoutent surtout l’extension que pourrait prendre la fraude faite par les bouilleurs de cru. Il y a, ce me semble, une manière bien simple d’y mettre ordre : c’est de supprimer le privilège dont jouissent ces fabricans. Il leur avait été enlevé en 1872, et c’est en décembre 1875 seulement, au moment de se séparer, que l’assemblée le leur rendit, malgré l’expérience favorable des trois années précédentes. Les bouilleurs de cru ne fabriquent aujourd’hui que des quantités insignifiantes d’alcool (30,557 hectolitres en 1881) ; mais lorsque nos vignobles seront redevenus florissans, on en produira probablement dix fois davantage. La fraude pourrait prendre alors quelque importance, s’il n’intervient pas d’ici là une loi portant rétablissement de l’exercice tel qu’il a été pratiqué de 1872 à 1876. En Amérique, les bouilleurs de vins et de fruits sont soumis à l’excise, et cependant cette industrie a tout autant d’importance que chez nous, car il existait, en 1876, 2,264 bouilleurs contre 647 distillateurs.

En résumé, l’élévation des droits sur l’alcool me paraît une excellente mesure. Ils sont aujourd’hui de 156 fr. 25 par hectolitre[1]. Ce chiffre est de beaucoup inférieur à celui que supportent les esprits chez la plupart des nations de l’Europe. En Angleterre, depuis 1862, le droit est de 477 francs par hectolitre d’alcool pur ; c’est presque le double du nôtre, et, pour assurer la perception de ce tarif élevé, on n’hésite pas à recourir à des mesures qui nous sembleraient tyranniques. Cet impôt, en 1870, a rapporté 272 millions de francs.

En Amérique, les spiritueux ne sont imposés que depuis 1862 et, dès 1864, le tarif était porté à 545 francs l’hectolitre. On a reconnu qu’il y avait là de l’exagération, et on l’a abaissé à 136 francs, puis il a remonté à 190 francs et, depuis 1865, il est de 245 francs. Il se perçoit à la distillerie même, ce qui est assurément le procédé le plus simple et le moins vexatoire. En Russie, le tarif est de 225 francs par hectolitre d’alcool pur, et, comme il porte sur

  1. Ce chiffre se compose d’un principal de 125 francs (loi du 1er septembre 1871), de 2 décimes montant à 12 fr. 50 chacun, établis l’un par la loi du 28 avril 1816, l’autre par celle du 14 juillet 1855, et enfin d’un demi-décime de 6 fr. 25 résultant de la loi du 30 décembre 1879.