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d’élever les droits sur l’alcool, qui est une liqueur toxique, pour abaisser ceux qui pèsent sur le vin, la bière et le cidre, qui sont des boissons hygiéniques. L’argument qu’on a toujours opposé à cette mesure est le suivant : l’élévation des droits ne diminue pas la consommation et elle augmente la fraude. Ce n’est là qu’une assertion, et il s’agit de savoir si elle est fondée. La consommation de l’alcool n’a pas diminué en France depuis que la loi du 1er septembre 1871 et celle du 30 décembre 1873 ont porté le droit primitif de 90 francs par hectolitre à 150 francs d’abord, puis à 156 fr. 25. Elle a même augmenté de 421,156 hectolitres de 1871 à 1881 ; mais il faut se rappeler que, pendant ces dix années, les ravages du phylloxéra ont réduit de près de moitié le rendement de nos vignobles. De 56,901,000 hectolitres il est tombé à 34,138,715 hectolitres, ce qui fait 22,762,285 hectolitres de moins et ceux-ci représentent une quantité d’alcool qui dépasse 2 millions d’hectolitres et qui est, par conséquent, cinq fois plus forte que celle des alcools d’industrie qui ont été consommés pour la remplacer. On a donc, en somme, sous une forme ou sous une autre, absorbé beaucoup moins d’alcool qu’auparavant. On ne peut, d’ailleurs, tirer aucune conclusion de faits pareils. Pour juger par comparaison, il ne faut pas s’adresser à un pays comme la France où la consommation de l’alcool est complémentaire de celle du vin, où cette dernière varie dans des proportions si considérables, suivant les provinces et suivant les époques ; il faut s’adresser aux pays où ces conditions sont invariables comme les contrées du Nord. Eh bien ! en Russie, l’élévation des droits sur l’alcool, qui a doublé de 1863 à 1882, jointe à la réduction du nombre des débits, a diminué de près de moitié la consommation des alcools. Les droits rapportent à la Russie 234 millions de roubles par an et constituent environ le tiers de ses ressources budgétaires.

En Allemagne, au contraire, les droits sont très faibles et l’alcoolisme fait des progrès effrayans. Ainsi, en Prusse, les droits sur l’alcool sont de 33 fr. 92 par hectolitre et rapportent à l’état 261 millions de marcs par an. On compte, à Berlin, un débit par 33 adultes mâles et on a arrêté, en 1880, 7,900 ivrognes. En Bavière, l’alcool ne supporte qu’un droit de 17 fr. 50 par hectolitre, et, en Wurtemberg, il n’est que de 13 fr. 50. Ces pays allemands sont la terre promise des alcooliques. La bière y est excellente et l’eau-de-vie y est à bon marché. C’est une ressource que les gouvernemens s’étaient réservée pour l’avenir, et la Prusse, comme nous l’avons dit plus haut, s’apprête à en faire son profit.

On ne comprendrait pas que l’élévation des droits ne diminuât pas la consommation. Les gens qui s’enivrent avec ces esprits