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Cette quantité, qu’on peut regarder comme une unité dans l’espèce, je l’évalue en faisant largement les choses, à 20 centilitres, qui représentent environ un 1/2 litre d’eau-de-vie, puisque, d’après la dernière enquête faite dans les débits de Paris, le titre moyen des eaux-de-vie qu’on y vend est de 37° 50.

Supposons maintenant que le tiers de la consommation totale soit absorbé par des gens qui n’en font pas abus, il restera encore, au compte de l’ivresse, 962,771 hectolitres d’alcool pur représentant 481,385,500 journées de travail perdues, soit à 2 francs la journée, ce qui est un minimum, comme je l’ai prouvé ailleurs, 962,771,000 francs.

Une perte semblable pourrait être supportée sans trop de préjudice dans un pays où la population serait exubérante et le travail en excès ; mais la France se trouve dans des conditions absolument opposées ; la population ne s’accroît plus que dans des proportions insignifiantes, et la main-d’œuvre fait défaut partout. Les campagnes manquent de bras, parce que les populations rurales sont entraînées vers les villes par des attraits de tout genre au milieu desquels l’alcool tient sa place. Cette émigration rend la culture du sol difficile et dispendieuse ; l’agriculture ne peut ni soutenir la concurrence étrangère, ni subir les transformations qui lui seraient nécessaires pour lutter contre elle. Noire sol, mieux cultivé, pourrait produire le double de ce qu’il rapporte. Et ce ne sont pas seulement les champs qui manquent de bras ; tous les métiers pénibles, fatigans, peu rétribués, sont dans le même cas. Ce qui le prouve, c’est la quantité de plus en plus considérable d’étrangers qui viennent travailler chez nous. Dans le Nord, ce sont les Belges qui labourent nos champs et peuplent nos usines ; dans le Midi, ce sont les Italiens et les Espagnols qui se chargent de la grosse besogne ; les Lucquois viennent, tous les ans, en Corse pour y faire la moisson. Au dernier recensement, le nombre des étrangers vivant sur notre sol s’élevait à 1,001,100. Cet élément étranger augmente chez nous treize fois plus vile que la population indigène, et, si cela continue, dans cinquante ans, la France comptera 10 millions d’étrangers. Les dangers de cette invasion frappent les yeux de tout le monde ; mais je ne dois m’en occuper qu’au point de vue de la quantité de travail que ces immigrans nous fournissent. En admettant qu’il n’y en ait que les trois quarts d’occupés et que chacun d’entre eux ne le soit que 300 jours par an, à 2 francs par jour, cela fait une somme de 450,495,000 francs que nous leur payons annuellement et dont nous ferions l’économie si nous pouvions amener nos alcooliques à travailler un ou deux jours de plus par semaine, car ceux-là n’en consomment pas moins, eux et leurs