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qui anime les convives après un grand dîner n’a rien de dégradant ni de nuisible. C’est un phénomène physiologique ; c’est un sentiment de bien-être que les gens nerveux éprouvent souvent en sortant de table sans que l’alcool y soit pour rien et qui, dans les repas pris en commun, s’accroît par la vivacité de la conversation et par l’éclat des lumières. Rien de plus légitime et de moins dangereux. Il est des gens dont l’imagination a besoin de ce léger stimulant pour briller de tout son éclat et qui n’ont jamais plus de verve, plus d’entrain que sous l’influence d’un très léger degré d’ébriété. Il est enfin des caractères faibles qui ont besoin de ce réconfortant pour vaincre la timidité qui les prend à la gorge et les paralyse lorsqu’il s’agit de parler en public ou de paraître sur la scène. Ces gens-là ne sont pas des alcooliques. Cette forme inconsciente et imperceptible de l’ivresse est compatible avec l’accomplissement des fonctions les plus délicates, comme avec la conservation illimitée de l’intelligence et de la santé. En résumé, c’est la tempérance et non l’abstinence absolue qu’il faut recommander aux hommes sages ; et j’avais besoin de commencer par là avant de faire le procès de l’alcool. Ce n’est pas à lui, du reste, que les considérations précédentes s’adressent, c’est aux vins généreux et de bonne qualité. En effet, si c’est l’alcool qui produit l’ivresse, si les boissons fermentées sont d’autant plus enivrantes qu’elles en contiennent davantage, ses effets sont atténués ou aggravés par les autres principes avec lesquels il se trouve mélangé.

De toutes les boissons, la plus répandue et la plus inoffensive, même quand on en fait abus, c’est le vin. Il doit cet avantage au grand nombre d’élémens qui le composent et dont la plupart sont de nature à tempérer l’action de l’alcool spécial qu’il renferme et qui est le plus inoffensif de tous. Le vin en contient en moyenne de 10 à 12 pour 100. Indépendamment de ce principe, il entre dans sa composition des huiles essentielles et des éthers auxquels il doit son bouquet, des acides à l’état libre ou à l’état de sels, du tanin et des matières colorantes. Tous ces élémens, combinés entre eux dans d’heureuses proportions, en rendent la digestion plus facile et l’absorption moins prompte ; ils atténuent les effets de l’alcool sur l’estomac et tempèrent son action sur le système nerveux. C’est là ce qui explique l’intervention favorable d’un vin généreux, dans le régime des gens affaiblis et dans la convalescence des maladies, ainsi que la gravité moindre des troubles qu’il amène quand on en fait abus.

À l’époque où les vins n’étaient pas falsifiés comme ils le sont aujourd’hui, la santé des buveurs n’était ni si promptement ni si profondément altérée. En dehors de leurs excès, ils se livraient à