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Imaginons la France livrée, entre les mains du radicalisme, à une série d’expériences ouverte par la séparation de l’église et de l’état. Supposons le budget des cultes supprimé, le clergé dispersé, les moines en exil ou en prison, les églises fermées et la messe de nouveau célébrée dans les granges par des prêtres errans. Après les violences, sanglantes ou non, d’une convention sans Vergniaud ni Carnot, après la licence et les coups de force intermittens d’un directoire sans Hoche ni Bonaparte, il viendrait tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, un pouvoir réparateur auquel le pays ne demanderait qu’une chose : de l’ordre. Or, l’un des premiers actes d’un pareil pouvoir, quelle qu’en fût l’origine ou l’étiquette, serait d’imiter le premier consul, de rendre au clergé ses temples et à l’église une situation légale, de conclure, lui aussi, un concordat ; non point uniquement pour assurer la paix religieuse, sans laquelle il n’y a pas de paix véritable, mais pour donner à l’état et au pouvoir nouveau l’appui et le contrôle de la seule force restée vivante au milieu des ruines accumulées sur la patrie. A une semblable restauration, quelle serait la principale difficulté ? Ce ne serait pas, croyons-nous, l’opinion publique, ni la répugnance du pays ou de l’armée ; là où Bonaparte ne put se faire applaudir, un imitateur sans génie aurait bien des chances de l’être. L’obstacle, ce serait le budget, ce serait la pénurie d’argent ; car, malgré les économies faites sur le clergé, malgré la proverbiale richesse de la France, il y aurait longtemps que les expériences du radicalisme auraient détruit ce qui reste de nos finances. Que ferait-on ? Quelque chose d’analogue à ce qu’avait fait le premier consul, en partie pour les mêmes raisons. Faute d’argent, on commencerait par n’attribuer au budget des cultes qu’une dotation de quelques millions, de moins peut-être, sauf à l’augmenter peu à peu avec l’accroissement des ressources.

Qu’on vote la séparation, que la république rompe avec le Vatican, et il surgira, de son sein ou de ses ruines, un gouvernement pour négocier avec le successeur découronné de Pie VII et rouvrir en grande pompe les nefs de Notre-Dame au surplis des chantres et à la psalmodie latine. Qu’on dénonce le concordat ; quand MM. Goblet et Clemenceau feraient supprimer le budget des cultes, ils n’auraient pas besoin de vivre les années de La Réveillère-Lepeaux ou de Cambon, pour le voir rétabli.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.