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leur ressembler. Ce ne sont pas les catholiques qui s’en plaindront.

Mais, est-ce ainsi qu’on entend la liberté au Palais-Bourbon ou à l’Hôtel de Ville ? Est-ce ainsi que comprennent la séparation les amis de M. Clemenceau ou les collègues de M. Goblet, qui, pour la préparer, comptent sur « le rayonnement des idées ? » Quand on va chercher des exemples ailleurs, en Amérique notamment, on a l’air de faire la satire des projets mis en avant chez nous. Demandez aux plus sincères partisans de la séparation comment ils entendent la liberté des cultes. Ils vous répondront par des projets de loi contre le clergé, contre les congrégations et les associations religieuses, par des lois d’exception contre les ministres du culte, ne comptant les soumettre au droit commun que pour avoir la satisfaction de les voir porter le képi. Demandez-leur s’ils ne craignent pas de rendre au clergé la faculté de posséder au risque de reconstituer la mainmorte. Ils vous répondront unanimement que telle n’a jamais été leur pensée ; que, si les Américains et les Anglais trouvent bon de laisser aux églises le droit de posséder et d’acquérir, ce n’est pas ainsi que la république opérerait en France. En France, on enlèverait au clergé son chétif traitement sans lui donner en échange ni indemnité ni dotation, sans même lui concéder le droit d’acquérir. On ne lui reconnaîtrait qu’une faculté, celle de vivre d’aumônes au jour le jour, et encore aurait-on soin de l’empêcher de tendre la main et de limiter les largesses dont il pourrait être l’objet. Des deux côtés de l’Atlantique et de la Manche, la séparation de l’état et de l’église a ainsi un sens absolument différent. Quand on nous cite l’exemple de l’Amérique ou de l’Angleterre, c’est avec l’intention de faire tout l’opposé. Il n’y a là qu’une équivoque grossière.

Une église sans ressources, incapable de recruter son clergé et hors d’état de l’entretenir ; une église enserrée dans l’étroit réseau de chaînes légales et fiscales de toute sorte ; une église en un mot mendiante et esclave, tel est, chez nous, l’idéal de la plupart des hommes qui réclament la séparation. La liberté dans leurs programmes n’est qu’une menteuse enseigne. En vérité, il ne s’agit pas, pour eux, de séparation, mais simplement de spoliation et d’oppression. Aussi, quelles que soient ses préférences théoriques, aucun vrai libéral ne saurait accepter une pareille séparation ; car, pour être vraiment équitable et porter des fruits de liberté, le divorce de l’église et de l’état doit s’accomplir à une époque de calme, dans un pays accoutumé au respect de toutes les libertés, avec une législation sincèrement tutélaire du droit d’association, respectueuse des fondations et de toutes les formes de propriété corporative. En dehors de là, comme nous le disions récemment ailleurs, la séparation n’est pas la liberté, mais la tyrannie. Ce n’est,