Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/865

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mémoire des paysans français, le plus impopulaire de tous les impôts de l’ancien régime, et ses dîmes, elle les fait payer aux non-conformistes aussi bien qu’à ses propres fidèles. Que de griefs dans ce seul fait, alors même qu’il serait toujours justifié par des donations et des chartes authentiques ! En France, il n’en faudrait pas davantage pour que la séparation, le disestablishment et le disendowment fussent votés à une énorme majorité. S’il n’en a pas encore été de même en Angleterre, cela tient à ce que les Anglais ne se sont pas encore entièrement défaits de leur ancien respect pour les traditions historiques. Puis, aux raisons qui semblent militer en faveur, de la séparation, s’en opposent d’autres qui plaident contre elle. On sait, par exemple, que les pauvres et les déshérités de toute sorte ont leur large part des richesses de l’église et pleureraient sa ruine. L’Angleterre, enfin, n’a pas encore perdu le sentiment de ce que sa grandeur doit à la foi chrétienne. Beaucoup d’Anglais craignent que, à travers l’église officielle, le disestablishment n’atteigne le christianisme et l’idée religieuse même, au profit du grossier matérialisme des foules ou du froid agnosticisme des lettrés, au détriment de la moralité et de l’énergie nationales.

Nous n’avons, du reste, en ce moment, ni à peser les argumens des deux parties, ni à prévoir l’issue de ce grand procès ; c’est encore là une cause qui ne semble pas devoir être prochainement jugée. Ce que nous tenons à montrer aujourd’hui, c’est combien, à travers d’apparentes ressemblances, les facteurs du problème sont différens en Angleterre et en France. L’Angleterre en est encore, à cet égard, en 1789. La situation de l’église anglicane a plus d’analogie avec la situation de l’église de France, avant la révolution, qu’avec celle de la même église sous le régime concordataire actuel. La différence est telle qu’on pourrait fort bien être partisan du disestablishment en Angleterre et être opposé à la séparation en France. Cela est si vrai que l’argument favori de nos voisins contre l’église établie n’aurait aucune valeur de ce côté de la Planche. Quel est le principe sur lequel s’appuie la liberation league ? C’est avant tout celui de l’égalité religieuse. Or, loin de violer ce principe, le système français en est une scrupuleuse application, puisqu’il subventionne concurremment les divers cultes professés au France et en Algérie. A ce titre, nous l’avons déjà remarqué, notre budget des cultes est manifestement inspiré des principes de la révolution et du droit moderne. Pourquoi les non-conformistes anglais, qui sont au premier rang des liberationists, ne demandent-ils pas qu’en Angleterre, de même qu’en France, l’état pourvoie également à l’entretien des différentes confessions ? Est-ce uniquement que les dissidens sont de longue date habitués à ce que les