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disposition des édifices religieux pour voir ce siècle utilitaire enfanter et parfois mettre à exécution des projets mon moins bizarres et non moins barbares. Pendant que, à l’instar des juifs de Jérusalem, pleurant sur les murailles du Temple, les fidèles chassés du lieu saint pleureraient sur la profanation du sanctuaire, l’artiste et le poète auraient eux aussi à verser des larmes sur la profanation de la beauté, de l’art et de l’histoire, immolés, tout comme la vieille religion, au dieu nouveau, au dieu vulgaire, au dieu jaloux, s’il en fut, l’utilitarisme.

L’état, dira-t-on, l’état prendra sous sa garde les monumens historiques ; l’état se fera honneur d’entretenir à ses frais les églises qui méritent de survivre, les cathédrales notamment. En fait, l’état serait bientôt débordé, il se lasserait promptement d’entretenir des centaines d’édifices « qui ne serviraient a rien. » Notre France est si prodigieusement riche en monumens religieux de tout âge que l’état ne suffirait pas à une tâche pareille. Voudrait-il la remplir, que les futures commissions du budget lui rogneraient bientôt des dépenses d’autant plus suspectes qu’elles s’appliqueraient aux monumens de la superstition. Il en serait bientôt de la plupart des cathédrales comme de nos plus célèbres abbayes. Il n’a pas fallu, un siècle pour que leur beauté ne fût plus qu’un souvenir. Heureuses encore celles auxquelles on a permis de tomber en ruines et dont le lierre et les plantes sauvages ont pu envahir librement Les cloîtres déserts ! On sait ce que sont devenues les autres. De Clairvaux à Fontevrault, qu’a-t-on fait des plus nobles monastères de l’ancienne France ? Des prisons ou des haras.

Il me revient à la mémoire une gravure du dernier siècle représentant une église de Paris, « l’église ci-devant Saint-Nicolas » convertie en atelier de menuiserie. Et la légende du temps se félicitait, en vers dignes du sujet, d’une pareille métamorphose[1]. Que de gens aujourd’hui, tout comme il y a cent ans, applaudiraient à une semblable transformation et se réjouiraient, en bonne conscience, d’entendre, au lieu des oremus du prêtre, le rabot du menuisier ou le marteau du maréchal ferrant ! Pour des milliers de nos compatriotes, rien ne serait plus digne d’un siècle de lumières. Laissez ordonner la désaffectation, et, si elles ne deviennent toutes des clubs, les églises dont on ne fera point des granges seront converties en

  1. Voici, autant qu’il m’en souvient, avec leurs fautes mêmes de prosodie, quelques-uns de ces vers :
    Dans le temple où régnait la molle oisiveté
    Vous voyez aujourd’hui briller l’activité,
    Les arts, la science, le génie
    Et l’utile talent de la menuiserie.