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première pierre des églises, on sait d’ordinaire comment elles ont été entretenues et réparées à travers les âges. Aujourd’hui encore, quels soins y pourvoient, si ce n’est le zèle fertile en ressources du clergé et les aumônes des fidèles ? On sait surtout pour qui les églises ont été construites, à qui elles ont été destinées et léguées. Pour le savoir, il n’est besoin ni de charte scellée d’un sceau gothique, ni d’inscriptions latines ou vulgaires sur les murs de l’édifice. L’intention des fondateurs est écrite dans le monument lui-même en termes non moins formels que dans un testament authentique ou dans les actes enregistrés par les notaires. La volonté des fondateurs, elle est proclamée par leur œuvre ; elle éclate en traits ineffaçables dans le plan de l’église, dans les bras de la croix du transept, dans les mystérieuses arcades du chœur, dans les voussures du portail, dans la crypte sombre qui s’ouvre sous l’autel, dans les nefs hardies qui montent comme une prière et les tours aériennes qui s’élancent vers le ciel. On en expulserait les anges ou les saints dont, en dépit des iconoclastes de la révolution, l’image peinte ou sculptée en décore encore les murs, que du porche au chevet et des dalles qui la pavent aux arceaux de ses voûtes, la destination de Notre-Dame resterait inscrite dans chacune de ses parties, dans chacun de ses détails, qui tous ont un sens symbolique. Riche ou pauvre, jeune ou vieille, l’église a été vouée au culte du Christ : l’enlever au Christ, ce serait être infidèle à la volonté de nos pères, soustraire une part de leur héritage à ceux auxquels il a été légué.

Ogivales ou romanes, renaissance ou pseudo-classiques, la destination des églises est si claire que, le plus souvent, on n’en saurait faire autre chose sans les défigurer, sans les mutiler. Églises elles sont, églises elles resteront. Comme au clergé qui les dessert, on peut leur appliquer le Sint ut sunt aut non sint. Pour la plupart, à commencer par les plus belles, — que tous ceux qui gardent quelque souci de l’art et de l’histoire y songent, — il n’y a pas d’autre alternative que de demeurer des églises ou de n’être plus. L’église répugne à être laïcisée ; on ne se représente pas une cathédrale a désaffectée. »

Les Turcs de Mahomet II ont pu travestir Sainte-Sophie en mosquée. Ils ont eu beau en renverser la croix grecque et en badigeonner les mosaïques, on sent toujours à Sainte-Sophie que l’islam n’est pas chez lui. Et encore, la basilique de Justinien n’a fait que passer d’un culte à un autre ; sa vaste coupole d’azur continue à abriter la prière ; mais nous, le jour de la séparation de l’église et l’état, quand on aura prononcé la sécularisation des édifices sacrés, que ferons-nous des centaines, des milliers d’églises, cathédrales, paroissiales, succursales de toute sorte, byzantines, gothiques, italo-grecques, qui sont la parure architecturale de la France et, à tous