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peine à reconnaître l’apport de chaque siècle, on puisse déterminer la part de chaque main ou de chaque bourse.

Des exemples contemporains peuvent nous donner une idée de la manière dont se sont bâties les églises, car, jusqu’en notre âge de scepticisme et d’effacement individuel, beaucoup ont été érigées ou relevées par l’initiative privée. En dehors des nombreuses églises de campagne, restaurées ou refaites à neuf par le zèle toujours entreprenant des curés ; en dehors des grands sanctuaires de pèlerinage, élevés sous nos yeux, d’un bout de la France à l’autre, de Boulogne-sur-Mer à Lourdes et à Notre-Dame-de-la-Garde, on peut, à Paris même, trouver des exemples de la façon dont s’est fondée mainte église du passé. Pour s’en rendre compte, il n’y a, selon le conseil d’un de nos anciens ambassadeurs auprès du saint-siège[1], qu’à faire l’ascension de la butte Montmartre et à visiter les travaux de la basilique du Sacré-Cœur. Regardez ces murailles dressées au-dessus du Paris incrédule par les offrandes des fidèles. Vous y verrez inscrit le nom des localités, des associations, des particuliers qui ont contribué de leurs deniers à l’érection de la basilique. Si, comme le demanderont peut-être bientôt le Palais-Bourbon ou l’Hôtel de Ville, on voulait exproprier le Sacré-Cœur du mont des Martyrs, il faudrait, pour rendre aux fondateurs ce qu’ils ont chacun apporté au nouvel édifice, le démonter pièce à pièce, pierre à pierre.

Ainsi en serait-il de la plupart des monumens sacrés, si, par un sentiment d’impersonnelle humilité, les donateurs, comme les artistes eux-mêmes, n’avaient laissé le plus souvent des œuvres anonymes, satisfaits de savoir leur nom connu de Celui qui a dit à la main gauche d’ignorer ce que donne la main droite. A certaines époques cependant, à partir de la fin du moyen âge, lorsque l’art fut devenu plus individuel et plus mondain, au XVe et au XVIe siècles notamment, les princes et les particuliers se sont plu à faire sculpter leurs chiffres ou leurs armes, et souvent même à faire représenter leurs traits périssables sous les voûtes des églises qu’ils enrichissaient de leurs dons. Les reliefs trop souvent mutilés, les peintures pâlies et à demi effacées, les verrières, heureusement plus durables dans leur fragilité, en fournissent d’innombrables exemples ; et clercs ou séculiers, nobles ou bourgeois, les fidèles dont la piété ou la vanité ornaient les murs de la maison du Seigneur le faisaient pour la gloire du Christ, pour Notre-Dame la Vierge et pour les saints, non pour les communes ou l’état laïque, qui devaient un jour s’en arroger la propriété, et encore moins pour les barbares caprices des fanatiques de la laïcisation.

Ignore-t-on le plus souvent par quelles mains a été posée la

  1. M. le marquis de Gabriac, l’Église et l’État, 1886.