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juifs, eux aussi frappés en dépit des promesses qui les avaient attirés[1], des juifs asservis, rançonnés, pillés, exilés, brûlés, non plus durant une centaine d’années, mais pendant des siècles entiers. Si la révolution française s’est fait gloire de réparer les erreurs et les crimes de l’ancien régime, rien n’était plus digne de la France nouvelle que de ne point oublier les protestans et les juifs ; rien n’était plus d’accord avec ses principes que de subventionner les cultes de la minorité aussi bien que la religion de la majorité. Pour tous ceux qui croient à la solidarité des générations dans une même patrie, le budget des cultes, tel qu’il a fonctionné au XIXe siècle, est fondé sur l’équité historique non moins que sur l’intérêt bien entendu de l’état. C’est un devoir de justice autant qu’un acte de haute politique[2].

Quant à l’inconséquence d’un gouvernement qui subventionne à la fois des doctrines contradictoires, nous laissons aux partisans des religions d’état le soin de s’en scandaliser. Au point de vue politique, le seul qui puisse trouver place ici, nous ne voyons là qu’une marque d’impartiale tolérance, une application du principe d’égalité devant la loi. Cela prouve simplement que, pour salarier les ministres du culte, l’état ne s’est fait ni le serviteur ni l’agent d’une doctrine. Cela prouve qu’alors même qu’il pourvoit aux besoins de la religion, l’état n’est guidé que par des considérations d’ordre temporel, les seules qui soient de sa compétence. Cela montre que, d’accord avec la notion de l’état moderne, l’état, en tant qu’état, n’est ni catholique, ni protestant, ni juif ; mais cela montre aussi qu’en dépit des axiomes de certains logiciens, malgré les prétentions des uns et les préventions des autres, l’état laïque n’est pas forcément athée ni, encore moins, antireligieux.


IV

Le traitement du clergé n’est pas seul en cause dans la séparation des églises et de l’état. L’eut, en effet, ne pourvoit pas uniquement à l’entretien des ministres de la religion ; l’état, ou, à son défaut, les communes, pourvoient également à la construction ou à l’entretien des édifices du culte, des églises, des presbytères, des séminaires. De là, dans l’hypothèse de la séparation, un second

  1. Voyez, par exemple, M. Th. Reinach : Histoire des Israélites, p. 108 et passim.
  2. On pourrait appliquer le même raisonnement aux subventions accordées au culte musulman en Algérie. Le fait même de la conquête, l’attribution à l’état des biens destinés à l’entretien du culte, sans parler des promesses de la capitulation d’Alger, nous constituent une dette vis-à-vis de la religion de nos sujets mahométans.