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temporels et non pour des considérations théologiques, c’est dans l’intérêt moral et matériel de la société et non dans l’intérêt d’une église. Cela est particulièrement manifeste lorsqu’ainsi qu’en France, l’état, dans son impartialité, subventionne à la fois différens cultes.

Qu’un théologien blâme cette indifférence doctrinale, qu’il se scandalise de voir ainsi la vérité et l’erreur mises officiellement sur le même rang, le théologien peut être dans son rôle ; mais qu’on ose soutenir qu’une pareille conduite froisse la liberté de conscience ou blesse les droits individuels, quel homme de bonne foi saurait l’admettre ? Je n’ignore pas qu’en certaine école il est de mode de dire que c’est aux dévotes qui fréquentent la messe, de payer les curés ; aux Français qui ont du goût pour le plain-chant ou pour le parfum de l’encens, d’entretenir les autels. Ce raisonnement est devenu banal et il n’en vaut pas mieux pour cela. Ceux qui le tiennent oublient qu’il pourrait s’appliquer à bien d’autres choses qu’à la religion. En le prenant à la lettre, ce ne serait pas seulement le budget des cultes qu’il faudrait supprimer, ce serait bien d’autres budgets, celui de l’instruction publique d’abord, à commencer par l’enseignement supérieur, qui, pour la plupart de nos paysans ou de nos ouvriers, n’est qu’un luxe inutile. Ce serait ensuite le tour de l’agriculture, du commerce, des travaux publics, puis de la justice et des tribunaux civils, car, au lieu de fournir des juges aux plaideurs, l’état ne pourrait-il les laisser s’arranger entre eux ? Avec ce raisonnement on pourrait tout supprimer de proche en proche, et de préférence tout ce qui fait l’éclat et la fleur de notre civilisation. On a souvent cité comme exemple les musées, les théâtres, qui reçoivent des subventions de l’état ou des communes, bien que tous les citoyens n’en profitent pas, que plusieurs même les condamnent par principes. On a souvent demandé pourquoi l’état s’interdirait d’entretenir des églises alors qu’il entretient des écoles d’actrices et de danseuses qui, si elles servent aux mœurs, y servent d’une tout autre manière. Ne pourrait-on pas aussi bien dire, par ce temps d’instruction obligatoire et de laïcisation à outrance, que c’est aux partisans de la laïcité de payer les écoles laïques, et que les familles qui n’y veulent pas envoyer leurs enfans sont en droit de refuser leur argent ?

C’en est assez de ce grossier argument ; il est trop aisé de le retourner contre les apôtres du laïcisme. En traitant la religion comme un service public, l’état, dès qu’il respecte la liberté des croyances, ne nous parait ni empiéter sur les droits de l’individu ni sortir de ses fonctions naturelles ; il travaille simplement à l’accomplissement de sa fin, c’est-à-dire au bon ordre de la société. Il est temps, du reste, de quitter le terrain du droit abstrait, qui de