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sécularisation de la société et l’on dit que, dans une société laïque comme la nôtre, il ne peut subsister aucune attache, aucune relation officielle entre l’église et l’état, entre l’église confinée dans sa mission spirituelle, et l’état laïque devenu neutre ou indifférent en matière de foi.

Quels sont les liens qui, en dépit d’un siècle de sécularisation, persistent entre l’église et l’état ? Ils sont en somme très simples et très lâches ; ils n’ont rien des chaînes que, à d’autres époques, la puissance ecclésiastique a prétendu imposer à l’autorité temporelle ; ils n’ont rien de ce qui constitue une union effective, telle qu’il en subsiste encore en certains pays. En réalité, ce qu’il y a entre l’église et l’état, ce sont moins des liens proprement dits que des engagemens mutuels. L’état et l’église, en rentrant chacun dans sa sphère propre, se sont entendus pour conclure un modus vivendi, destiné non à restaurer leur ancienne intimité, mais à faciliter leurs nouveaux rapports et à leur permettre de vivre côte à côte, en dehors de l’union brisée par la révolution. Ce modus vivendi est sorti d’un traité, conclu dans l’intérêt des deux parties, et où l’état n’a été guidé que par des considérations d’ordre politique et non d’ordre religieux. Ce traité, qui n’est autre que le concordat de 1801, a beaucoup moins été un traité d’alliance qu’un traité de paix ; le rompre serait une déclaration de guerre.

En quoi se résume, en réalité, l’acte de 1801 ? En deux clauses l’une au profit de l’église, l’autre au profit de l’état ; car, de même que la plupart des traités, le concordat a été conclu sur le principe du 'Do ut des. L’église, durant la tourmente révolutionnaire, avait été dépouillée de ses biens et de ses temples ; le concordat lui a rendu ses temples et, en compensation de ses biens aliénés au profit de la nation, il a promis aux ministres du culte un traitement. L’état, en revanche, a reçu de l’église le droit de désigner ses principaux pasteurs, droit qui concède au pouvoir laïque une sorte d’autorité dans le sanctuaire, car en toute chose, et dans l’administration de l’église spécialement, le choix des personnes est de haute importance. À bien regarder les faits, il résulte du concordat que, s’il y a ingérence, empiétement d’un pouvoir sur l’autre, ce n’est nullement de l’église sur l’état, de l’autorité religieuse sur le pouvoir civil ; c’est bien plutôt du pouvoir civil sur l’autorité religieuse, de l’état sur l’église. Et cela s’explique par la situation des deux parties au moment où elles ont traité ensemble. L’état, représenté par le premier consul, était alors à l’apogée de sa force au dedans comme au dehors, tandis que l’église, ébranlée par la révolution en Italie non moins qu’en France, était humainement plus faible qu’à aucune époque antérieure ou postérieure.