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chasse loin d’elle impitoyablement les nuages, de sa verdure maigre et des roches dépouillées qui couronnent la crête de ses coteaux : sur elle pourtant la transparence lumineuse du- ciel, dont l’azur se nuance de teintes mobiles, jette un voile qui dérobe et embellît sa misère. Les poètes et les artistes contemplent chez elle, sans se lasser, ces jeux du soleil, qui émaillent tous les reliefs et mettent en valeur tous les plans. On se demande alors si la Provence a jamais été plus belle, plus resplendissante, et l’on oublie ou l’on regrette moins ces trésors perdus, comme on ferait à l’aspect d’une villageoise, issue d’une noble race, déchue et pauvre maintenant, et cependant souriante et heureuse de ses charmes.

Revenons à la science ; c’est elle qui nous dira le dernier mot de cette étude : la Provence, d’abord insulaire, est sortie en tant que région géographique d’une série de mouvemens du sol, qui l’ont d’abord agrandie, puis soudée au continent. Cette soudure, bien que définitive, n’a pas mis obstacle à un retour offensif et partial de la mer, demeurée voisine et qui l’est encore à l’heure d’aujourd’hui. Le contre-coup du soulèvement des Alpes a communiqué à l’ensemble de la contrée un relief qui s’oppose à ce retour ou le rend plus difficile à admettre, sans qu’il soit raisonnable pourtant d’en affirmer l’impossibilité absolue. Ce qui est certain, c’est que, sous nos yeux, encore maintenant, les eaux courantes, c’est-à-dire les rivières petites ou grandes de la Provence occidentale coulent dans des vallées qui répondent à d’anciennes dépressions, occupées jadis par les eaux des lacs ou celles de la mer, plus tard façonnées, agrandies ou simplement modifiées.

A côté des révolutions physiques auxquelles le pays doit sa configuration finale, il faut placer les révolutions organiques ou changemens opérés dans la nature des êtres vivans. Habitée dès l’origine et n’ayant jamais cessé d’être en partie terre ferme, la Provence a toujours possédé, à côté des animaux et des plantes de la mer, des animaux et des plantes terrestres. Observée à ce double point de vue, elle fournit des exemples de tous les changemens biologiques qui se sont autrefois réalisés et de la façon dont ils ont dû s’accomplir. Elle se prête par cela même à la constatation de cette loi séculaire, dans le domaine de la biologie évolutive, que les êtres, en se diversifiant, ont donné lieu à autant de séries qu’ils comptent de catégories fondées sur la combinaison du plan de structure et de l’adaptation à des conditions extérieures déterminées. C’est en tenant compte de ces deux points de vue, réunis et combinés, que l’on conçoit la nécessité de distinguer entre elles et de séparer, non-seulement les plantes inférieures des supérieures et les marines des terrestres, mais encore, parmi ces dernières, celles qui, tout en étant terrestres, sont en même temps inférieures