Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/799

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme si la continuité des terrains qu’elle comprend eût été brusquement rompue à un moment donné, sans qu’il soit possible de présumer leur étendue antérieurement à cette fracture. C’est là, en Provence, en y joignant quelques lambeaux vers l’Estérel, au-dessus de Cannes et du golfe Juan, la « région primitive, » émergée de toute ancienneté, en même temps la région siliceuse et cristalline dont les roches, granitiques et gneissiques par places, sont plus ordinairement schisteuses et pailletées de mica. — Un aspect à part, une végétation spéciale caractérisent cette région, peuplée de chênes-liège et de pins maritimes, associés au châtaignier et aux grandes bruyères. La flore de cette partie du Var emprunte à ces espèces et à une foule d’autres sa physionomie aussi connue des touristes qu’appréciée des botanistes en quête des plantes rares qui foisonnent sur un sol sillonné de ravins profonds et découpé en vallées sinueuses.

Entre cette région et la partie septentrionale, montagneuse et calcaire du département du Var, qui constitue une sorte de terrasse mouvementée, s’interpose une vallée d’érosion, creusée tout entière dans les grès multicolores du trias, qui se prolonge sans discontinuité des abords de Toulon jusqu’au-delà du Fréjus et que la voie ferrée a naturellement choisie pour contourner les Maures, se rapprocher ensuite de Draguignan et gagner l’embouchure de l’Argent, avant de s’engager à travers les masses porphyriques de l’Estérel. Les grès triasiques, d’abord fracturés, puis redressés et s’enfonçant au nord sous des assises calcaires plus récentes, ont offert aux eaux courantes des âges postérieurs des matériaux faciles à attaquer et à désagréger. On les retrouve à l’état remanié dans les lits détritiques d’origine fluvio-lacustre qui abondent principalement aux environs d’Aix, où ils constituent les grès ferrugineux et les argiles vivement colorées de l’étage garumnien, entre Saint-Maximin et Rognac. Revenons à la région primitive : émergée, et, par conséquent, terre ferme bien avant l’âge où se déposèrent les houilles, elle représente réellement la Provence originaire ; mais cette terre des temps les plus reculés, au lieu d’être tourmentée et ravinée, au lieu d’offrir, comme maintenant, trois chaînes ou chaînons parallèles, courant de l’est à l’ouest, reliés par des contreforts et séparés par des vallées étroites et sinueuses, devait être ou tout à fait plate ou faiblement ondulée. À raison justement de ce relief peu accusé, elle devait s’étendre beaucoup plus loin que dans l’âge suivant, alors que les eaux du permien et celles du trias vinrent circonscrire définitivement ses limites. Jusqu’où pouvait s’avancer l’île des premiers temps, celle dont les dépressions servirent de cuvette aux lagunes carbonifères, où s’entassèrent, par conséquent, lits par lits, les résidus macérés et décomposés des forêts