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modifications de niveau ou de relief dont l’écorce terrestre a été affectée nous paraissent brusques surtout à raison de l’éloignement. Accomplis le plus souvent avec lenteur et à l’aide d’une impulsion intermittente, amortis, en un mot, par le fait de la durée, durée auprès de laquelle notre courte existence n’est rien, les mouvemens du sol ont dû se prolonger, se répéter, se compléter et aboutir peu à peu aux résultats décisifs que nous constatons. Ils ne nous semblent tels que parce qu’ils résument une longue série d’actions partielles, tantôt concordantes, tantôt dirigées dans un sens opposé à celui des précédentes, de manière à provoquer des effets absolument inverses.

Toute contrée n’est, en dernière analyse, qu’une résultante des divers facteurs dont elle a subi successivement ou simultanément l’impulsion. Elle est telle, sous nos yeux, que le passé l’a faite, et le stratigraphe, ainsi que le paléontologue, ont toujours quelque chose à apprendre sur l’ordre et la nature des terrains explorés par eux et des êtres dont ces terrains gardent les traces. A ce point de vue, aucun sol n’est complètement ingrat et tout observateur peut utilement l’interroger pour en rédiger les annales. Ces annales, il est vrai, sont très loin d’offrir partout le même intérêt : il est des régions essentiellement monotones et stériles, c’est-à-dire réduites à un très petit nombre d’accidens de terrain. On peut les comparer à ces peuples obscurs, à ces races vivant à l’écart, dont le passé ne saurait rien nous révéler. C’est le cas, en géologie, des grandes plaines d’alluvion, des contrées plates, sans fractures ni massifs montagneux, dont une seule formation horizontale ou faiblement inclinée occupe à elle seule l’étendue. La Russie offre des exemples et, parfois, sur une très grande échelle, de cette disposition géognostique. C’est elle qui a valu le nom de « permien » au terrain ainsi désigné, parce qu’il couvre exclusivement le gouvernement de Perm et s’avance jusqu’à l’Oural. Un des géologues français les plus actifs de la première moitié du siècle, M. de Verneuil, aimait à dire comment, en face de cette uniformité persistante, il s’y était pris, de concert avec le célèbre Murchison, pour tracer la carte géologique de la Russie intérieure : suivant chacun, à la distance d’une vingtaine de lieues, deux routes parallèles, ils notaient au passage la continuation du même terrain et bien plus rarement l’apparition d’un terrain nouveau. Ils n’avaient ensuite qu’à coordonner leurs relevés respectifs, et la carte des terrains parcourus se trouvait dressée d’une façon très exacte au fond, bien qu’à l’aide d’une méthode tout approximative en apparence.

L’analyse des changemens survenus dans de semblables régions, par l’effet du temps, se résumerait le plus souvent en quelques lignes : d’abord recouvertes par la mer, puis délaissées par elle,