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rouleau bleu. » — « Ce n’est qu’à cette condition, disait-il, que son gouvernement traiterait avec lui pour faire échec à la politique des Tuileries. » Pour lui faciliter la constatation de la vérité, il lui ouvrait une piste ; il lui apprenait que le général Cialdini et le général Durando prétendaient avoir la des lettres échangées entre les deux souverains en vue d’une guerre contre la Prusse[1].

Mazzini, mis au pied du mur, disparut dans les brouillards de Londres. Il n’avait pas de preuves à fournir. « Je suis malade, disait-il, il m’est impossible d’écrire longuement. » Il proposait au comte d’Usedom de s’entendre de vive voix. Les pourparlers furent suspendus, mais non pas rompus.

Du reste, tous les cabinets et tous les souverains conspiraient dans les années troublées qui ont précédé la catastrophe de 1870. Jamais les gouvernemens ne donnèrent par leurs actes de plus éclatans démentis à leurs déclarations officielles. Des agens secrets de toutes qualités et de toutes nationalités parcouraient l’Europe en tous sens ; ils servaient d’interprètes à d’inavouables desseins ; sous le prétexte de concilier des intérêts divergens, ils disaient ce qui honnêtement ne pouvait s’écrire. Ils apparaissaient dans les capitales comme les précurseurs de la tempête. Ils pénétraient par des portes cachées chez les princes et les ministres ; ils s’appliquaient, souvent inconsciemment, à leur donner le change sur la pensée et les dispositions des gouvernemens dont ils étaient les organes équivoques. Napoléon III croyait tenir dans sa main les fils de ce réseau d’intrigues et les diriger au gré de sa politique changeante ; il se flattait d’en être l’âme, il n’en était que le jouet, et la France, hélas ! la victime.


G. ROTHAN.

  1. Réponse du comte d’Usedom, transmise à Mazzini, qui se trouvait à Lugano. — « Le gouvernement de Berlin craint qu’il n’y ait accord entre le roi Victor-Emmanuel et l’empereur Napoléon, accord qui serait contraire à ce que le roi de Prusse devait attendre du roi d’Italie. Mais il n’en a pas la preuve, et c’est cette preuve qu’il désirerait avoir. S’il l’avait, il consentirait immédiatement à traiter avec l’homme qui seul aujourd’hui peut faire échec à la politique des Tuileries. L’auteur de la note est donc intéressé à se procurer la preuve désirée et à donner tous les éclaircissemens nécessaires à l’officier prussien, afin qu’on puisse ensuite directement s’aboucher avec lui-même. Pour faciliter la voie à l’auteur de la note, on lui fait savoir que les généraux Cialdini et Durando ont dit avoir là les dépêches échangées entre Victor Emmanuel et Napoléon III dans lesquelles le roi s’engage à ne pas aller à Rome, dépêches qui auraient servi de préliminaires à l’accord Halo-français contre la Prusse. » (Voir M. A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini, page 249 ; Négociations secrètes entre M. de Bismarck et Mazzini, et la Politica segreta italiana. Turin ; Roux et Favale.)