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tous les rangs et sur tous les points de la péninsule. Il avait formé tout un réseau de sociétés secrètes, savamment reliées entre elles, qui, sous son impulsion, entretenaient la haine de l’Autriche et minaient sourdement les princes italiens ses protégés[1]. On disait qu’il avait la folie des insurrections patriotiques ; il les encouragerait par tous les moyens, certain que la répression se retournerait contre les gouvernemens en soulevant la colère et l’esprit de rébellion.

Dans son système, l’unité était la condition de l’indépendance, et la république la condition de l’unité. Il ne croyait pas la monarchie capable de se sacrifier à une grande idée, mais, plus politique que Garibaldi, il ajournait la réalisation de son rêve dans l’espoir de s’assurer le concours de Victor-Emmanuel. Il ne craignait pas de lui offrir ses services, il lui soumettait ses plans par des intermédiaires. C’est ainsi qu’après la guerre de 1859 il lui conseillait de délivrer Venise et s’engageait à fournir des prétextes à sa politique, qui lui permettraient de dire à l’Europe, comme Charles-Albert en 1848 : « Il faut que je marche. » Il lui offrait de soulever la Vénétie et de mettre l’Autriche aux prises avec toutes les nationalités soumises à sa domination. Le roi écoutait ces ouvertures sans les décourager ; en traînant les pourparlers, il gagnait du temps et endormait la révolution. Il ne lui déplaisait pas de savoir Mazzini et Garibaldi occupés à fomenter des soulèvemens en Hongrie, en Pologne, en Serbie, jusqu’au jour où il se serait assuré des alliés. Il ne croyait pas comme les révolutionnaires au triomphe des idées sur les baïonnettes ; il tenait à se prémunir contre toutes les mauvaises chances par l’alliance militaire de la Prusse et la garantie morale de la France ; il tâtait le pouls à M. de Bismarck et sondait l’empereur.

Le comte de Cavour et le comte de Bismarck se servaient de leurs souverains, mais leurs procédés étaient différens. M. de Bismarck se chargeait lui-même des entreprises douteuses, il était censé agir à l’insu de son roi, auquel il réservait les suprêmes décisions. M. de Cavour, au contraire, laissait au roi la tâche de négocier secrètement avec la révolution, il était censé tout ignorer, ce qui lui permettait de se prévaloir auprès de la diplomatie de la correction de sa politique[2].

Mazzini déconseillait l’alliance française ; il avait la haine de l’empereur, il ne lui pardonnait pas le siège de Rome et le coup qu’il avait porté à la république. — « Si le roi a du cœur, disait-il,

  1. Voir M. A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini.
  2. Valbert, Hommes et choses du temps ; Hachette.