Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il le soupçonnait de comploter avec eux sa chute, il était convaincu que son attitude si nette n’interprétait pas les sentimens de son souverain. Il espérait qu’en rappelant M. Nigra on le rappellerait. Mais à la cour des Tuileries on tenait à M. Nigra ; il était l’ami du prince Napoléon, et l’empereur le considérait comme un legs de M. de Cavour. La diplomatie occulte sauva cette fois la diplomatie officielle. L’empereur fit plaider la cause de l’envoyé italien auprès du roi. M. Nigra fut maintenu à son poste, tandis que M. de Malaret fut pour longtemps, en vertu d’un congé, éloigné du sien ; il est vrai, que Victor-Emmanuel s’était bien gardé de plaider la cause de l’envoyé français auprès de l’empereur. Comme toujours, le dernier mot restait au gouvernement italien. Ce ne fut pas la seule concession. M. de Moustier promit qu’il veillerait pour, que dorénavant il n’y eût plus dans la légion romaine que des soldats libérés de tout engagement envers la France, et que le général Dumont serait rappelé. Il ne se borna pas à cette satisfaction. Une note justificative insérée dans le Moniteur montrait combien en toute occasion nous nous plaisions à pousser jusqu’aux dernières limites la condescendance envers notre alliée de 1859. Mais, malgré nos regrets et nos promesses, le ministère italien ne se tint pas pour satisfait ; il était poussé par la chambre qui, dans des ordres du jour motivés, réclamait de plus amples explications ; il se sentait d’ailleurs sur un bon terrain, il cherchait à prendre une revanche contre nos ingérences et à nous mettre au pied du mur ; il fallut que l’empereur, impatienté de cette persistance, fit de sérieuses observations au chargé d’affaires d’Italie pour couper court à de nouvelles obsessions. M. Rattazzi faisait de la popularité à nos dépens. Il s’appuyait sur un parti foncièrement hostile à notre politique : il allait bientôt nous soumettre à de pénibles épreuves et nous imposer de douloureuses résolutions.

La conférence de Londres, en neutralisant le Luxembourg, avait conjuré la guerre. Toute l’Europe s’en était réjouie, le parti militaire prussien et le parti révolutionnaire italien seuls avaient maudit la diplomatie, qui s’était malencontreusement jetée à la traverse de leurs sinistres projets. La France, grâce à une évolution savante, faite sous le coup du danger, était sortie, sans y laisser sa dignité, de l’impasse où une politique perfide l’avait acculée. L’Italie s’était sincèrement associée à l’allégresse générale, son souverain, ses princes et ses hommes d’état étaient venus à Paris admirer les œuvres de la paix et protester de leurs sympathies ; ses journaux avaient mis une sourdine à leurs polémiques ; les bandes garibaldiennes ne rôdaient plus autour des frontières romaines. Mais les comités révolutionnaires ne désarmaient pas, ils conspiraient dans l’ombre. Cependant les nouvelles de Rome n’étaient pas de nature à les encourager ;