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en plaçant le siège du gouvernement au centre du royaume, au pied des Apennins, protéger l’Italie contre une agression éventuelle de l’Autriche et conjurer un second Aspromonte. « Changer de capitale, disait le négociateur italien, est une entreprise coûteuse, périlleuse ; la recommencer serait une résolution mortelle. »

Napoléon III croyait aux moyens moraux ; il ne se doutait pas, en cédant aux instances de son cousin, que l’acte auquel il adhérait provoquerait, à peine conclu, de funestes déchiremens entre les deux pays. S’il avait daigné consulter sa diplomatie officielle, elle l’eût dissuadé de se lier les mains sans urgence, de se prêter à un traité équivoque qui, sous prétexte de garantir au pape ce qui restait de son pouvoir temporel, consacrait implicitement les droits de l’Italie sur Rome. Elle l’eût renseigné sur le véritable état des esprits dans la péninsule, dont le marquis de Pepoli lui traçait un tableau si alarmant ; elle lui eût appris que l’arrangement qu’on lui soumettait était un expédient, et que le ministère aux abois espérait, en remettant la question romaine à l’ordre du jour, y trouver, à la veille des élections, un dérivatif à ses embarras financiers et administratifs. Mais on ne consultait personne ; on attachait plus de prix au dire des diplomates étrangers qu’aux renseignemens et aux appréciations des agens français. La politique cesse d’être une science lorsqu’elle ne fonde pas ses actes sur des données sévèrement contrôlées, et que, pour complaire à tout le monde et se dispenser de vouloir, elle soumet ses principes et ses intérêts à de fâcheuses compromissions.

« Il est des questions latentes, il en est qui sont pendantes, d’autres sont ouvertes, » disait en 1863 le comte de Sartiges, le prédécesseur de M. de Malaret à Turin, lorsqu’on lui parlait de « Rome capitale ; » il n’admettait pas que déjà la question romaine fût « ouverte ; » elle s’imposait assurément aux méditations des gouvernemens, mais elle ne comportait pas un arrangement contractuel portant en germe les plus graves complications, et dont la conséquence immédiate était de mécontenter la France, d’irriter les Italiens, d’exaspérer les catholiques de tous les pays, et de nous aliéner le Vatican.

Notre diplomatie, en Italie, avait peu d’autorité ; on savait qu’elle n’était ni écoutée ni renseignée par son gouvernement. Les affaires italiennes étaient le luxe trompeur de la politique impériale ; l’empereur les traitait directement dans l’ombre et le mystère, souvent avec d’étranges intermédiaires. Une lettre du comte de Cavour, publiée dans le temps par un journal de Rome, montrait que ce ministre, pour faire prévaloir ses idées à la cour des Tuileries, ne reculait devant aucun genre de séduction. L’histoire réserve des surprises ; elle pénètre jusque dans les alcôves pour saisir les causes