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bres n’est pas un budget ordinaire ; il propose des mesures qui peuvent être nécessaires et qui n’ont pas moins une gravité particulière. Il y a un emprunt de quinze cents millions qui doit servir à éteindre une dette démesurément grossie. Il y a un remaniement de l’impôt sur les eaux-de-vie qui doit se résoudre en définitive dans une augmentation de taxe et qui est destiné à assurer au trésor une ressource nouvelle. Il y a une suppression du budget extraordinaire et une suppression d’amortissement. Ainsi, des dettes à contracter, des impôts à créer, de nouvelles conditions budgétaires à étudier et à sanctionner, c’est la question complexe, épineuse, singulièrement délicate, soumise en ce moment aux chambres. Tout cela, on le remarquera, représente une sorte de liquidation devenue nécessaire ; c’est la suite d’une situation que les fautes accumulées, les dépenses imprévoyantes ont préparée, et qui a provoqué en partie le mouvement d’opinion dont les élections dernières ont été l’expression. C’était assurément le cas de procéder libéralement, d’appeler dans la commission du budget des hommes de tous les partis, des conservateurs, ceux-là mêmes dont l’élection a été au mois d’octobre une protestation contre les erreurs financières qu’il s’agit aujourd’hui de réparer ; c’était de la plus simple équité, c’était de plus habile. Les républicains, avec leur étroit et vulgaire esprit d’exclusion, ne l’entendent pas ainsi ; ils se sont au contraire mis d’accord pour exclure tous les représentans de la droite, pour rester seuls maîtres dans la commission du budget ; ils prétendent traiter les finances de la France comme une affaire de ménage ! Ce qu’il y a de curieux, c’est que le lendemain, les radicaux, qui auraient voulu sans doute une plus large part dans la commission, se sont plaints vivement d’avoir été les dupes des opportunistes, et la querelle est certainement risible de leur part, après la manœuvre à laquelle ils venaient de s’associer. Les républicains, en dépit de leurs querelles pour le partage du butin, ont réussi, c’est possible : ils ont joué un bon tour parlementaire en excluant tous les représentans de la droite de la commission du budget ; mais ils ont peut-être oublié que, derrière ces représentans, il y a trois millions cinq cent mille électeurs qui les ont nommés, qui sont une partie du pays, qui paient leurs impôts, et dont les intérêts, les vœux, les sentimens mériteraient de n’être pas traités avec cette légèreté superbe. « Faut-il donc, disait l’autre jour un républicain au sénat, faut-il que les minorités gouvernent ? » Non, ce n’est pas le droit des minorités de gouverner dans un régime parlementaire ; mais les majorités à leur tour n’ont pas le droit d’exclure, d’opprimer les minorités, et, quand l’exclusion va frapper indirectement trois millions cinq cent mille Français atteints dans leurs représentans, elle équivaut à une sorte d’interdiction d’une partie du pays pour cause d’opinion. C’est tout ce qu’il y a de plus inique, de plus imprévoyant, de moins libéral, et ce mépris des mino-