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adorateurs, comme un père débonnaire à ses enfans, de s’asseoir au festin qui lui était servi et de partager avec lui la victime. Un sacrifice était un repas sacré, une sorte de communion religieuse entre le dieu, les prêtres et les fidèles. Ceux-ci, pour faire honneur au dieu, consommaient le plus possible de viandes saintes, de gâteaux sacrés et de vin ayant servi aux libations. Μεθύειν (Methuein), dit Aristote, signifiait d’abord boire après le sacrifice ; les pieux excès, si souvent renouvelés, lui valurent le sens de s’enivrer.

Le sacrifice le plus complet, mais le plus rare, était l’holocauste, où la victime réservée au dieu seul était brûlée tout entière ; le plus solennel, l’hécatombe ; le plus efficace, celui ou avait coulé le sang le plus précieux, comme dans l’immolation d’Iphigénie, la vierge fille du roi des rois. Le pauvre qui n’avait pas de victimes offrait de petites images en pâte, et ce sacrifice n’était pas le moins bien reçu. Apollon surtout exerçait sur ses fidèles une action morale. Un riche Thessalien immole à Delphes cent bœufs aux cornes dorées, tandis qu’un pauvre citoyen d’Hermione s’approche de l’autel et y jette une poignée de farine. « Des deux sacrifices, dit la Pythie, le dernier est de beaucoup le plus agréable au dieu. » Les philosophes des derniers temps parleront ainsi et ne tiendront nul compte de l’ostentation des sacrifices fastueux. Mais, avant eux, Euripide avait écrit : « Des hommes apportent au temple de chétives offrandes et ils sont peut-être plus religieux que ceux qui immolent de grasses victimes. » La Grèce, qui, dans son premier âge, croyait que les grands seuls étaient écoutés des dieux, ouvrira donc, dans le temps de sa maturité, les temples et le ciel à l’indigent obscur. Cette révolution morale correspondra à la révolution politique qui donnera des droits à ceux qui, aux premiers jours, n’en avaient pas.

Les offrandes devaient être pures, les victimes parfaites, le prêtre ne pas avoir un défaut dans son corps, le suppliant une pensée mauvaise dans son esprit, et l’on ne s’approchait des autels qu’après s’être purifié par l’eau, symbole de la purification morale. A la porte du temple se tenait un prêtre qui répandait l’eau lustrale sur les mains et la tête des fidèles ; quelquefois même on recourait à une sorte de baptême par immersion. Dans toutes les religions, la purification est l’acte nécessaire pour approcher du dieu. « Mais, dira la Pythie, si, pour purifier l’homme de bien, une goutte de cette eau suffit ; pour le méchant, l’océan tout entier ne suffirait pas ; » et les prêtres d’Esculape, à Épidaure, avaient écrit sur son temple : « Ce sont les pensées saintes qui font la pureté véritable. »

Pour expier un meurtre, même involontaire, il fallait des