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celle de l’anatomie des animaux, par l’observation de leurs mœurs et, enfin, par l’observation des phénomènes atmosphériques les plus divers.

En résumé, le réalisme de Paolo Uccello est le réalisme scientifique et sec par excellence, sans le goût qui distingue les autres Florentins et les empêche de tomber dans le ridicule, sans naïveté gracieuse ni généreuses ardeurs. L’influence du vieux perspectiviste eût été désastreuse s’il s’était trouvé des élèves assez insensés pour suivre sa manière : mises à contribution avec une sage réserve ses découvertes techniques ont fait faire à la peinture italienne des progrès décisifs.

A côté d’Uccello, le principal champion du réalisme florentin est Andréa del Castagno, né en 1390 dans les environs de Florence, fils d’un pauvre ouvrier et forcé lui-même dans sa jeunesse de garder les troupeaux, tout comme Giotto. C’était un tempérament brutal, ne reculant devant aucune difformité, devant aucune exagération pour donner à ses figures plus de caractère, et porté vers la laideur comme d’autres le sont vers la beauté. Coloriste assez faible d’ailleurs, mais dessinateur dont la hardiesse et l’étrangeté vont parfois jusqu’à la grandeur, Andréa réussissait surtout, comme l’a excellemment dit M. Georges Lafenestre, « les précurseurs faméliques et les ermites émaciés. » Le portrait fut chez lui, comme chez les Flamands, la base même de son art. Il en fit de toutes les sortes : en buste, à pied, à cheval, et même des portraits de suppliciés. C’est lui en effet qui, en 1435, lors du retour des Médicis, fut chargé de peindre sur le palais du podestat les vaincus immolés à la vengeance des vainqueurs. Il s’acquitta de cette tâche avec une telle verve qu’il en reçut le surnom « d’Andréa degli Impiccati,  » André, le peintre des pendus. Une mission plus intéressante fut la décoration de la villa Carducci, à Legnaio. Andréa y représenta, en dimensions colossales, Pippo Spano, Farinata, Niccolò Accajuoli, tous fameux capitaines ou hommes d’état florentins, Dante, Pétrarque et Boccace, enfin Esther, Tomyris et la Sibylle de Cumes. Ces portraits, aujourd’hui exposés au musée national de Florence, se distinguent par leur grande tournure et leurs accens véritablement héroïques. On sera plus sévère pour le portrait équestre de Nicolas de Tolentino, peint à l’intérieur de la cathédrale de Florence, en regard du portrait de Giovanni Acuto, dû au pinceau de Paolo Uccello. Telle est la vulgarité du héros et de sa monture que l’on est tenté de découvrir de la distinction dans l’œuvre rivale d’Uccello.

Dans la Sainte Cène du couvent de Sant’Onofrio, à Florence, le chef-d’œuvre du maître, la tendance au style, un style relatif, est plus marquée : les têtes ont un air de gravité sauvage et, la sobriété de l’encadrement architectural aidant, l’ordonnance est à la fois très