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remplacera les types de convention ; l’horreur pour le nu, si profonde pendant la première partie du moyen âge, s’évanouira progressivement ; on poussera la naïveté, il serait plus juste de dire l’inconvenance, jusqu’à représenter le Christ dans le sein de sa mère. Et quelle émotion ne devait pas provoquer la vue de ces martyrs couverts de plaies horribles, de ces bourreaux raffinés et féroces jusqu’au cynisme, de ces enfans à l’agonie tendant leurs bras vers leurs mères impuissantes ! L’effet produit était en raison directe de la crudité de la représentation.


On a cru jusqu’ici qu’abstraction faite du portrait, l’école flamande primitive ne s’était exercée que dans les sujets religieux : c’est une erreur. D’innombrables peintures nous ont conservé le souvenir des batailles, des tournois, des fêtes, des divertissemens et même des occupations les plus vulgaires de l’époque, les travaux des champs ou du ménage, la confection de galettes, la lessive, etc. Seulement, ces peintures sont exécutées, non pas au moyen de pinceaux, mais au moyen de broches et de lisses, non pas au moyen de couleurs liquides, mais au moyen de laines et de soies teintes ; de là le dédain de la critique académique. On devine que je veux parler de ces merveilleuses tapisseries, subitement révélées, après une éclipse trois fois séculaire, à l’admiration de nos contemporains. L’activité pittoresque du XVe siècle n’éclate pas avec moins de force dans ces procédés de reproduction et ces moyens de propagande, les plus populaires de tous, la gravure sur bois et la gravure sur cuivre, dont les Flandres revendiquent l’invention, non sans des argumens très sérieux. Il y a de l’observation, de la gaité, quelquefois de l’esprit et de la verve dans ces ouvrages modestes appelés à pénétrer jusque dans les plus pauvres chaumières.

Mais l’art profane, aussi bien que l’art religieux, manque de cet idéal supérieur, moral, philosophique, littéraire, scientifique ou artistique, sans lequel on ne saurait fonder une école durable. S’agit-il de l’illustration des romans de chevalerie, c’est une narration plate et prolixe, que la richesse des costumes et quelques physionomies sympathiques ou distinguées ne suffisent pas à racheter. L’allégorie n’est pas moins ennuyeuse, tout imprégnée qu’elle est encore des souvenirs du Roman de la Rose. Quant à l’interprétation des événemens contemporains, c’est une simple juxtaposition d’épisodes, sans relief et sans force dramatique.

Favorisée par les instincts de la population non moins que par le courant général d’une civilisation différente du génie classique, ce que l’on pourrait appeler la forme la plus basse de l’art, la caricature, s’épanouit au grand jour. Le trivial, le grotesque, le laid, conquièrent partout le droit de cité ; dans des régions où la pensée a