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accueillirent à bras ouverts les artistes du Nord, que le caprice ou le besoin amenait de l’autre côté des Alpes. En compulsant les documens conservés dans les bibliothèques ou les archives italiennes, j’ai réussi à réunir plus de soixante noms d’artistes français et plus de cent noms d’artistes flamands et allemands fixés en Italie pendant le XVe siècle ; et encore ces chiffres sont-ils forcément de beaucoup au-dessous de la réalité, car ce serait une singulière illusion que de croire que les notaires et les comptables du temps aient pris soin de nous conserver les noms de tous ces étrangers. Nous pouvons donc affirmer sans hésitation que plus de trois cents artistes de toute spécialité et de tout mérite, tous nourris dans la tradition de l’école France-flamande et germano-flamande, ont joué leur rôle dans le développement de l’art italien du XVe siècle, le dotant, qui des secrets de la peinture à l’huile, qui des procédés de la gravure sur bois, qui de ceux de la tapisserie de haute lisse, qui, enfin, des principes du réalisme le plus exclusif.

On ne saurait songer à passer en revue ici les nombreux ouvrages laissés en Italie par ces émigrés, dont beaucoup, ne l’oublions pas, n’étaient que de simples artisans. Il importe toutefois d’accorder une mention à ce Pietro di Giovanni Tedesco, c’est-à-dire Pierre, fils de Jean d’Allemagne (il était soit de Cologne, soit de Fribourg, soit du Brabant), qui, entre 1386 et 1399, exécuta pour la cathédrale de Florence un grand nombre de statues et de bas-reliefs, dans lesquels les réminiscences classiques s’allient à tous les excès du réalisme. Les enseignemens de Pietro, il n’est point permis d’en douter, n’ont pas été étrangers à l’évolution du génie de Donatello et de Ghiberti ; aussi ce dernier, dans ses commentaires, n’a-t-il pas hésité à rendre une justice éclatante au mystérieux hôte venu du Nord. Bientôt cependant la sculpture italienne prit un si brillant essor, qu’elle n’eut plus rien, absolument rien, à apprendre des étrangers.

Il en fut autrement de la peinture. On n’a pas assez tenu compte, à mon avis, des infiltrations flamandes dans l’histoire du développement des différentes écoles de la péninsule. Ce n’est point un effet du hasard, assurément, si le portrait du pape Eugène IV, dû au pinceau de Jean Fouquet, suscita une si vive admiration ; si Johannes de Alemania a présidé aux débuts de l’école de Murano, berceau de l’école vénitienne ; si Gentile da Fabriano, fra Angelico, et l’école de Cologne ont sacrifié simultanément au plus suave mysticisme, si Roger Van der Weyden, lors du jubilé de 1450, parcourut l’Italie en triomphateur, si le roi Ferdinand de Naples envoya un de ses sujets étudier à Bruges, si le saint Michel de Simon Papa, au musée de Naples, pourrait passer, au témoignage de M. A.-J.