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Elle trouvait à son arrivée la guerre flagrante et l’empereur partant pour l’armée, après avoir épuisé en dictateur toutes les ressources que lui pouvait offrir l’état du pays. Pouvait-elle honorablement présumer autre chose que le succès de la guerre et, dès lors, ne devait-elle pas se préparer à tenir bon contre l’ascendant du despote victorieux ? Supposez d’ailleurs qu’elle eût fait le contraire, supposez qu’elle se fût jetée dans les bras de l’empereur ou prosternée à ses pieds, cela l’eût-il rendu plus triomphant à Ligny et moins vaincu le lendemain ? Cela eût-il donné au maréchal Ney des yeux pour voir, et des oreilles pour entendre à un maréchal Grouchy ? Et supposez qu’au retour précipité de l’empereur, la chambre des représentans, au lieu de lui imposer l’abdication, l’eût remercié comme le sénat romain, après la déroute de Cannes, de n’avoir point désespéré de la patrie et lui eût voté d’enthousiasme la levée en masse de tous les Français, qu’en aurait-il fait ? À cette nouvelle, ni Wellington ni Blücher n’auraient poussé leur pointe jusqu’à Paris ; ils auraient attendu trois ou quatre jours pour être rejoints par les 250,000 Russes et les 250,000 Autrichiens qui passaient le Rhin en ce moment même, et l’empereur se serait trouvé sous les murs de Paris, avec les débris de Waterloo, en face de six ou sept cent mille étrangers victorieux. Aurait-il bravé l’assaut et mis le feu aux quatre coins de la capitale ? Nous savons, du reste, qu’il n’était pas plus Rostopchine qu’il n’était Guillaume III ; il aurait fait en 1815 ce qu’il avait fait en 1814.

Point de reproches donc, point de reproches mérités qu’on puisse adresser à la chambre des représentans, quant au fond même des choses. Quant à l’attitude, sans doute, des sénateurs siégeant, délibérant sur leurs bancs en guise de chaises curules, à la barbe des barbares, elle était, en 1815, moins voisine du sublime que de son contraire, et moins encore une demi-douzaine de Brutus et de Gracchus, braillant et gesticulant comme au bon temps. Mais qu’y faire ? Le bon temps était passé de mode. Tous les temps en sont là, bons ou mauvais.

« Sire, disait à Louis XIV Vardes, revenant d’un long exil et voyant les habitués de l’Œil-de-Bœuf se moquer de son costume tant soit peu suranné, quand on vit longtemps en disgrâce, on n’est pas seulement malheureux, on devient ridicule. »

Ici commença ce qu’on nomme, non sans raison, la Terreur de 1815. Rien n’y manqua, en, effet, pour rendre l’analogie complète, que la durée et la généralité, ce qui, j’en conviens, est bien quelque chose. Dès le 25 juin, c’est-à-dire dès la première nouvelle de la bataille de Waterloo, la populace de Marseille, je la nomme cette fois par son nom, se jeta sur les bonapartistes réels ou supposés, entre autres sur une petite colonie d’Égyptiens, vulgairement désignés