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les mécontens, les discussions, les tracasseries du moment, et j’allai m’établir d’abord à Broglie, puis à Évreux, pour travailler à me faire élire membre de la chambre des représentans.

La ligne de conduite que je me proposais de suivre était droite et simple. Les deux chambres, nommées sous l’empire de l’acte additionnel, devaient, à mon sens, s’emparer dès le début de cette œuvre, bonne au fond, mais incomplète, profiter de l’embarras des circonstances pour faire acte de pouvoir, réformer ce qui devait l’être et se préparer à la lutte contre l’empereur s’il revenait victorieux de la coalition qui se préparait contre lui au dehors ; en même temps ne lui rien refuser de ce qu’il jugerait nécessaire à la défense du pays et ne prendre à son égard aucune initiative d’attaque personnelle.

En me portant pour candidat, sans faire étalage de mes principes et de mes intentions, je n’en Os pas non plus mystère. Ni les électeurs de Bernay, ni ceux d’Évreux, ne me trouvèrent assez bon bonapartiste. Les collèges électoraux de l’ancien empire avaient été maintenus par l’acte additionnel ; je ne leur convins pas et je m’en affligeai sans m’en étonner. L’administration fut pour moi moins exclusive. Le préfet me seconda de son mieux : il est vrai que ce préfet était mon ancien camarade, Maurice Duval, dont j’aurai plus tard l’occasion de parler ; mais M. Quinette, que je n’avais jamais vu, M. Quinette, ancien régicide, alors commissaire impérial en mission extraordinaire, seconda les efforts du préfet et, chargé de pourvoir aux vacances dans le conseil général du département, me nomma, proprio motu, ce que j’acceptai fort à l’étourdie.

Je ne tardai pas, en effet, à me trouver placé dans un fâcheux dilemme. On me demanda le serment. Je n’avais pas alors sur le serment politique des idées très arrêtées ; je pensais, comme le disent et le pratiquent encore aujourd’hui bien des gens de bien, que le serment politique n’engage à rien de plus qu’à ne pas conspirer, à ne pas trahir, à n’entretenir aucune intelligence avec les ennemis de l’état. Sur ces trois points, j’étais fort tranquille ; néanmoins, dans la disposition d’esprit où je me trouvais, le serment me répugnait. Je ne répondis pas : j’essayai inutilement de m’en tirer par voie de prétention ; mis enfin au pied du mur, je ne me décidai à franchir le pas qu’en imposant silence à ma conscience, et je reconnais aujourd’hui que ma conscience avait raison contre ma raison. Je reconnais aujourd’hui que prêter serment à tel gouvernement que ce soit, c’est épouser sa cause, espérer en lui, travailler à le maintenir, même en lui résistant. De bonne foi, je n’en étais pas là, fût-ce vis-à-vis du gouvernement des cent jours. C’est un acte de ma vie publique que je me reproche et auquel je ne puis songer sans un peu de confusion.