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personnes jeunes et belles, et qu’il poussait, dit-on, aussi loin que celles-ci le permettaient. Il en a conservé les allures jusqu’à la dernière vieillesse, et ce n’est pas une des moindres preuves du bon sens de la nation anglaise que le soin qu’ont pris tous les partis de jeter, comme à l’envi, le manteau sur le côté ridicule du héros de Waterloo.

M. Canning était tout autre. C’était, à la fois, un bel esprit et un homme d’état ; l’un des deux personnages gâtait un peu l’autre. Le bel esprit était très brillant, plus peut-être que ne le comportait la gravité d’un premier ministre en expectative ; l’homme d’état prenait sa revanche ; il était hautain et dédaigneux. Mme de Staël avait avec l’un et l’autre des prises très vives, et c’était plaisir de l’entendre ; néanmoins, j’évitais M. Canning plus que je ne le recherchais ; il n’était pas encore ce qu’il est devenu depuis, et depuis aussi je lui ai rendu plus de justice.

Sir James Mackintosh était, en revanche, l’un des hommes les plus aimables que j’aie connus. Son savoir était immense. Il était versé dans les langues classiques ; il connaissait à fond la littérature germanique, comme la littérature anglaise et française. De visage et de caractère, il ressemblait à Cicéron. A l’époque dont je parle, il revenait de Bombay, où il avait résidé plusieurs années à titre de grand juge, et sa haute réputation, longtemps contestée, commençait à s’établir solidement en Angleterre. Pendant le peu de mois qu’il passa à Paris, il était l’un des habitués de la maison de Mme de Staël, et il se prit, pour moi, d’une véritable amitié qu’il m’a conservée jusqu’à sa mort. Ses mémoires, publiés par sa famille, en portent témoignage, et j’en garde un souvenir plein de reconnaissance et de vénération.

Lord Harrowby, longtemps ministre en Angleterre, avant et depuis l’époque dont je parle, était un tory modéré, éclairé, d’une politesse exquise et d’un sens parfait. J’étais très curieux de l’Angleterre, je me perdais en efforts pour concilier ce que je lisais dans les livres composés ex professo sur ce pays, et ce que je lisais chaque jour dans les feuilles publiques. Lord Harrowby satisfaisait ma curiosité avec une inépuisable complaisance. Il me témoignait l’intérêt qu’un vieillard d’une expérience consommée et d’un bon cœur ressent naturellement pour un commençant de bonne volonté. J’ai beaucoup profité de ses entretiens, et son amitié pour moi ne s’est pas démentie pendant de longues années ; car il n’est mort que dans un âge très avancé ; il existait encore, bien infirme et bien impotent, lorsque j’étais ambassadeur à Londres, et m’honorait de ses conseils.

Je dirai peu de chose de M. de Humboldt ; tout le monde l’a connu en France, où il a résidé pendant tant d’années. C’était, sans doute,