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dans mes relations domestiques, de mal penser des hommes en général, et d’en médire en particulier.

L’intérêt que peut inspirer, s’il en peut inspirer toutefois, cet exposé des diverses circonstances de ma vie, ne saurait donc provenir que de sa simplicité même, de sa sincérité, je dirais presque de son ingénuité. Tout est uni pour moi ; ma cause, la cause des honnêtes gens et des gens sensés, a succombé pour longtemps, selon toute apparence ; je n’en espère plus rien que pour mes enfans. Je n’ai, dans ma conduite, rien à défendre, rien à publier, rien à expliquer en ce qui touche à l’honneur, à la probité privée et politique ; j’ai assez vécu, j’ai assez vu se tromper les plus clairvoyans et échouer les plus habiles pour faire bon marché de tout le reste.

Je serai vrai.

Mais, pour être vraiment vrai, il ne suffit pas toujours d’en avoir l’intention ; il faut avoir bonne et exacte mémoire ; il faut surtout se tenir en garde contre l’instinct tout françois qui porte à se faire effet à soi-même, à disposer un peu les événemens pour l’agrément même de la chose, lorsque, d’ailleurs, cela ne nuit à personne.

Je m’efforcerai d’éviter ce genre d’infidélité tout esthétique, si l’on ose ainsi parler, en m’attachant sévèrement à l’ordre chronologique et personnel ; je suivrai pas à pas, c’est-à-dire d’année en année, mes souvenirs. Je ne parlerai que des faits auxquels j’ai pris part et des hommes que j’ai vus à l’œuvre. Je m’attacherai à reproduire, autant que possible, mes impressions du moment, en me bornant à les rectifier quand l’expérience et la réflexion m’en auront appris le faible ou le faux. En un mot, et ce sera tout mon pauvre mérite, je dirai : j’étais là, telle chose m’advint ; il n’appartient qu’aux maîtres d’ajouter : vous y croirez être vous-mêmes.

Janvier 1857.


LIVRE III
I

Dans la nuit du 31 décembre 1813 au 1er janvier 1814, les alliés, après avoir hésité longtemps, traversèrent le Rhin entre Spire et Bâle.

Le 24 janvier, l’empereur partit pour l’armée ; le 31 mars, Paris capitula ; le 2 avril, le sénat prononça la déchéance ; l’empereur abdiqua le 11.

Louis XVIII, rappelé au trône, rentra en France le 29 ; le 2 mai,