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l’opposition, M. Crispi, l’a presque accusé de n’avoir pas su saisir dans ces dernières années les occasions de nouveaux accroissemens de territoire : ce n’est pas apparemment bien sérieux. M. Depretis n’a point, il est vrai, recherché pour son pays les rôles éclatans et bruyans. Il n’a pas brigué les alliances d’ostentation, au risque d’aliéner la liberté de la politique nationale et d’attirer à l’Italie des mécomptes ou de l’engager au-delà de ses propres intérêts. Il a mieux fait: il s’est étudié à éviter les aventures trop dangereuses et à calmer les imaginations trop échauffées ou les ambitions trop impatientes. Il a suivi une politique de bon sens, de prudence, de réserve, et, par le fait, loin d’avoir rien perdu à cette politique, l’Italie, à l’heure qu’il est, a les rapports les plus simples, les plus aisés avec toutes les nations. Le pays n’est sûrement pas si pressé de voir tomber le ministre qui l’a conduit depuis quelques années sans le compromettre. Et, d’un autre côté, par qui serait remplacé le président du conseil d’aujourd’hui? Son successeur à peu près désigné serait M. Cairoli, qui arriverait au pouvoir avec ses alliés de l’opposition et qui serait nécessairement entraîné à inaugurer une autre politique. M. Cairoli est certes un fort galant homme, aimé et estimé en Italie. Malheureusement il inspire plus de sympathies que de confiance. Il a déjà passé comme président du conseil au pouvoir, et il n’y a brillé ni par la prévoyance ni par l’esprit de suite. Il a été un ministre plus honnête qu’habile, et le dernier vote qui a raffermi ou sauvé le ministère prouve peut-être une certaine crainte de voir M. Cairoli revenir avec ses amis à la direction des affaires.

Est-ce à dire que M. Depretis ne reste pas dans une situation assez difficile avec la petite majorité qu’il a obtenue dans un parlement toujours divisé ? Le président du conseil Italien est trop fin pour ne pas sentir le danger de sa position, et il est évident qu’un jour ou l’autre, d’ici à peu sans doute, il saisira l’occasion ou de désarmer ses adversaires ou de s’assurer des alliés de façon à fortifier son ministère et à se donner les moyens de parcourir une nouvelle étape. La tactique lui a réussi plus d’une fois. C’est ainsi qu’il est resté depuis quelques années une sorte de médiateur des partis ; et si l’Italie, avec lui, ne peut pas se promettre de beaux coups de théâtre, elle est du moins à peu près sûre de ne pas courir les aventures, d’avoir une certaine sécurité dont tous ses intérêts peuvent profiter.


CH. DE MAZADE.