Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Laurent et, sur la rivière, le Northcote en détresse. Bien renseignés par leurs éclaireurs, qui, depuis la bataille de Fish-Creek, n’avaient perdu de vue aucun des mouvemens de l’armée canadienne, Riel et Dumont avaient posté, à quelques milles au-dessus de Batoché, à un endroit où les eaux basses rendaient la navigation lente et difficile, des éclaireurs des deux côtés du Saskatchewan. Forcé de ralentir sa marche, le Northcote s’était trouvé pris entre deux feux. Il avait vainement riposté. Abrité dans ses rifle pits, l’ennemi ajustait à loisir, rendant le pont intenable. Le pilote était tué, la cheminée criblée de balles, et le vapeur était venu s’échouer sur un banc de sable. Son équipage avait réussi toutefois à le dégager, et suivant lentement le fil de l’eau, il avait atteint Batoché, mais il ne gouvernait plus et le courant l’entraînait sous une pluie de balles.

Le feu plongeant des batteries de Middleton contraignit les rebelles à évacuer l’église Saint-Laurent. Ils se replièrent sur le bois derrière le village. Middleton commanda de les y suivre ; l’infanterie formée en colonne se mit en marche ; l’artillerie devait la soutenir. Ce mouvement s’exécutait quand le cri de guerre des Indiens retentit à quelques pas du plateau. Profitant habilement des pentes boisées, ils les avaient escaladées ; débouchant sur le plateau à quelques mètres seulement des artilleurs occupés à atteler leurs pièces, ils ouvraient sur eux un feu à courte portée et luttaient corps à corps pour s’en emparer. Heureusement, pour l’armée canadienne, le capitaine Howard, commandant la batterie Gatling, avait ses pièces attelées. Par un mouvement rapide, il les porta en arrière et fit feu à mitraille sur les assaillans, que cette décharge rejeta en désordre. L’artillerie était sauvée. Le capitaine Howard fit immédiatement avancer les pièces, couvrant les pentes de ses feux, et ne se remit en marche qu’après avoir repoussé les Indiens à grande distance.

Poursuivant son mouvement, le général Middleton pénétrait dans Batoché, délogeant les troupes de Riel, qui se repliaient en bon ordre sur le bois. L’église Saint-Laurent était évacuée ; au moment où le général débouchait sur la place, un prêtre, debout sur le seuil, agitait un drapeau blanc. Le général s’avança, lui tendit la main, et apprit de lui que l’église était remplie de femmes et d’enfans qui étaient venus y chercher un abri, que le vapeur Northcote descendait la rivière sous le feu des rebelles et qu’il était fort à craindre qu’il ne tombât dans leurs mains, enfin que Riel et Dumont, fortement retranchés dans le bois, y avaient fait creuser de nombreux rifle pits qui en rendaient l’accès difficile et d’où on ne les délogerait probablement pas sans de grands efforts. Il ajouta qu’un corps considérable d’Indiens campait de l’autre côté de la rivière et que