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facultés Imaginatives et l’esprit mystique qui lui faisaient défaut ; il possédait, en revanche, un grand sens pratique ; il avait acquis, dans le cours de son existence aventureuse, une remarquable habileté stratégique ; il excellait à choisir un campement, à tirer parti des avantages qu’il offrait pour s’y fortifier et s’y défendre. Riel, qui l’appréciait à sa valeur, lui avait confié le commandement en sous-ordre et tenait ses conseils en grande considération.

Dumont fut d’avis de se porter en avant pour arrêter la marche du général Middleton. Au sud de Batoché se trouvait Fish Creek et le village de Saint-Antoine-de-Padoue, frontière du territoire des demi-blancs. Le terrain, plus accidenté, se relevait en collines boisées formant un étroit défilé. Gabriel Dumont y établit le camp sur la hauteur et fit immédiatement creuser des rifle pits, sorte de trous suffisans pour abriter un ou deux hommes et leur permettre de recharger leur carabine à couvert. Établis sur le penchant de la colline, ces rifle pits, reliés les uns aux autres par d’étroites tranchées, rendaient difficile la marche d’une colonne d’assaut ; ils permettaient à leurs défenseurs d’ajuster avec précision et de n’offrir au tir de l’ennemi qu’un objectif fugitif et restreint. Avec de l’artillerie, on pouvait avoir raison de cet obstacle, mais l’endroit, habilement choisi par Dumont au coude du défilé, ne permettait le tir de l’artillerie qu’à portée de carabine, et il devait être difficile de l’amener et de la maintenir en ligne sous un feu d’une justesse aussi parfaite que celui des demi-blancs, habitués dès l’enfance au maniement de leurs armes, ménagers de leur poudre et manquant rarement leur but.

Le général Middleton avançait avec prudence ; il avait réussi à se procurer parmi les Indiens Black feet, restés fidèles au gouvernement colonial et ennemis des Crees, un certain nombre de scouts, qui éclairaient sa marche. Le 23 avril, ils l’avisèrent que sa colonne était surveillée par les Crees ; ils en concluaient que l’ennemi ne pouvait être très éloigné. Le 24, en effet, ils lui signalaient sa présence à quelques milles de distance, à l’entrée du défilé. Le général Middleton donna ordre au major Boulton de se porter en avant avec les éclaireurs et au gros de la colonne de se préparer à l’attaque. Riel et Dumont les laissèrent s’engager à bonne portée de balles et ouvrirent le feu, feu meurtrier, qui jeta bas une partie de l’avant-garde. Les troupes ripostèrent, mais leurs balles se perdaient dans le vide et passaient en sifflant au-dessus des rifle pits. Un temps d’arrêt se produisit, les soldats hésitaient à se lancer à l’assaut de ces pentes boisées, coupées de trous et de tranchées, qui leur cachaient l’ennemi. Le général fit avancer le 90e bataillon, commandé par le capitaine Clarke.

Le bataillon s’engagea dans le défilé sous un feu terrible. Pour s’y soustraire, les hommes s’avançaient en rampant. En ce moment,