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grâce de récriminer et de poursuivre, sans égards pour de légitimes intérêts, de nouvelles extensions. Ces doléances, interprétées dans les correspondances de la diplomatie prussienne, servaient de thème auprès du roi Guillaume aux détracteurs du ministre. Ils disaient que les témérités de sa politique conduiraient tôt ou tard à des catastrophes. On trouvait qu’après tant d’étapes, si glorieusement et si rapidement parcourues, il était sage de reprendre haleine, de borner sa tâche à l’assimilation des provinces conquises, à l’organisation de la confédération du Nord, et que, pour l’accomplissement d’une œuvre aussi laborieuse, il importait de ne provoquer personne. On estimait qu’il serait imprudent de pousser Napoléon III à bout et d’affronter une guerre avec la France tant que l’Allemagne ne se serait pas réconciliée avec les événemens de 1866 et qu’il pourrait rester le moindre doute sur les sentimens du Midi et sur l’exécution résolue des traités d’alliance. Les déclarations que le prince de Hohenlohe venait de faire devant les chambres sous la pression de l’opinion publique n’autorisaient pas à croire que déjà on pût, en tout état de cause, compter sur l’ardent concours de la Bavière[1].

  1. Dépêche d’Allemagne. — « Les déclarations du prince de Hohenlohe sont de nature à mécontenter la Prusse; les journaux n’attendaient qu’un signal du gouvernement pour manifester leur indignation. Le signal n’a pas été donné, M. de Bismarck a proféré se montrer satisfait. C’est adroit et judicieux. Il se rend compte des difficultés qui accablent le premier ministre du roi Louis. Il sait que la Bavière n’est pas disposée à se fusionner avec le Nord et que, s’il voulait lui imposer le programme du parti national, il se heurterait aux intérêts dynastiques et aux vœux populaires. Il se place dès lors sur le terrain où la Bavière est d’elle-même disposée à se placer. Le prince de Hohenlohe ne voulant pas entrer dans la confédération du Nord et le Wurtemberg ne se souciant pas d’une confédération du Sud, on en est réduit à chercher une formule qui permette de constituer l’unité par des institutions identiques et par la solidarité des intérêts économiques et militaires. La presse nationale se refuse à admettre des transactions, elle s’attaque au prince de Hohenlohe, elle demande la mise en accusation du baron de Dalwigh, le ministre du grand-duc de Hesse; elle réclame des garnisons prussiennes à Kehl et à Rastadt. Le grand-duc de Bade, qui veut passer à tout prix le Main, avec armes et bagages, s’impatiente. On dit que récemment il aurait livré à son beau-père, le roi Guillaume, un véritable assaut pour se faire ouvrir les portes de la confédération du Nord.
    « Les déclarations du prince de Hohenlohe ont un grand retentissement en Allemagne; elles serviront à calmer en France, il faut l’espérer, les appréhensions sincères ou calculées de ceux qui tiennent l’unité germanique, par l’attraction que la confédération du Nord exercerait sur le Midi, comme un fait déjà accompli. L’échange inusité de courriers qui a eu lieu dans ces derniers temps, entre Berlin et Munich, permet de supposer que le comte de Bismarck a eu de la peine à sanctionner le programme bavarois. S’il ne s’en accommodait pas, il serait exigeant, car le roi Louis, ramené aux sympathies prussiennes par l’influence de sa mère et de son ministre dirigeant, aurait promis au roi Guillaume, en échange de son assentiment à la politique de son gouvernement, le concours le plus loyal, et il aurait même engagé sa parole qu’en cas de guerre il n’hésiterait pas à marcher sous sa bannière. »