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le gosier au point de ne pas laisser pénétrer même la salive : « Je ne sais pas ce qu’est devenu l’aiguillon, dit-il, car je ne l’ai ni vomi ni senti passer dans mon ventre. » Un jour que sa langue tuméfiée remplissait sa bouche, il l’a ramenée à l’état naturel en léchant le bois de la barrière qui entourait le sépulcre. Saint Martin ne dédaigne pas de guérir même les maux de dents, et Grégoire, reconnaissant de tous ces bienfaits, émerveillé de cette puissance, s’écrie : « Ô thériaque inénarrable ! ineffable pigment ! admirable antidote ! céleste purgatif ! supérieur à toutes les habiletés des médecins, plus suave que les aromates, plus fort que tous les onguens réunis ! tu nettoies le ventre aussi bien que la scammouée, le poumon aussi bien que l’hysope, tu purges la tête aussi bien que le pyrèthre ! »

Telle était la religion de Grégoire de Tours : croyance au dogme littérale et sans examen, observance minutieuse des pratiques de dévotion, superstition répugnante. Certes Grégoire vaut mieux que cette religion qui s’est imposée à son esprit. Par momens, il fait effort pour s’en dégager et s’élever jusqu’à Dieu : il y arrive sans trop de difficultés, conduit et porté par les saints. Il a une conception très belle du rôle des saints dans le monde, et il l’exprime avec une éloquence toute chaude d’une inspiration sacrée. « Le prophète législateur, après qu’il a raconté comment Dieu déploya le ciel de sa droite majestueuse, ajoute : Et Dieu fit deux grands luminaires, puis les étoiles, et il les plaça dans le firmament du ciel afin qu’ils présidassent au jour et à la nuit. De même Dieu a donné au ciel de l’âme deux grands luminaires, à savoir le Christ et son église, afin qu’ils brillassent dans les ténèbres de l’ignorance ; puis il y a placé des étoiles, qui sont les patriarches, les prophètes et les apôtres, afin qu’ils nous instruisent de leurs doctrines et nous éclairent par leurs actions merveilleuses. À leur école se sont formés ces hommes que nous voyons, semblables à des astres, briller de la lumière de leurs mérites, resplendir de la beauté de leurs enseignemens : ils ont éclairé le monde des rayons de leur prédication, car ils sont allés de lieu en lieu, prêchant, bâtissant des monastères pour les consacrer au culte divin, apprenant aux hommes à mépriser les soins temporels et à se détourner des ténèbres de la concupiscence pour suivre le vrai Dieu. » Par un bienfait de sa naissance et de son éducation, Grégoire a connu et il a aimé quelques-uns de ces continuateurs des patriarches et des apôtres. Il est d’une famille de saints : le bisaïeul de sa mère est saint Grégoire, évêque de Langres, qui « eut pour fils et successeur Tetricus, » doublement successeur, car Tetricus fut à la fois évêque de Langres et saint. Saint Nizier, l’évêque de Lyon, était l’oncle maternel de Grégoire, qui, dans son enfance, alors qu’il apprenait à lire, couchait