complaire à « sa maîtresse sérénissime, » c’est de lui envoyer des parcelles des chaînes que le bienheureux Paul a portées au cou et aux mains ; il prendra donc une lime pour détacher des paillettes, mais il n’est pas sûr de les obtenir, car il est arrivé que l’on a longtemps limé les chaînes sans en rien tirer. Heureux princes, qui pouvaient ainsi recevoir et garder à domicile de si précieux objets ! Le commun des fidèles se transportait auprès d’eux pour recueillir le bénéfice de leur puissance miraculeuse. Le temps des pèlerinages a commencé ; les plus zélés chrétiens vont en terre-sainte chercher des fioles d’eau du Jourdain, des poignées de la poussière du sol foulé par le Sauveur ou bien des fragmens de la vraie croix, qui « garde dans sa matière insensible une force vitale, comme dit saint Paulin de Nole, et, réparant toujours ses forces, demeure intacte, bien qu’elle distribue tous les jours son bois à des fidèles innombrables. » Ce pèlerinage est le plus louable de tous, mais très nombreux sont les sanctuaires où l’on va porter ses hommages et ses vœux. La fatigue même du voyage est un mérite dont on se prévaut auprès du saint ; puis on lui apporte des présens, des objets précieux, de l’argent, des donations de terre. Ainsi reparaît avec la multiplicité des cultes cet échange de services entre le ciel et les hommes qui était un des caractères du paganisme.
La morale chrétienne s’est donc accommodée à la faiblesse de l’homme. Il ne faut point voir là matière à sarcasmes ni à déclamations. Toute religion est un effort de l’homme vers Dieu, une transition de l’humain au divin, ou, si l’on croit que le divin est répandu dans la nature et pensé par l’homme, toute religion est une manifestation du divin dans l’homme. Si haute qu’ait été la conception première, l’homme fait valoir les droits de son infirmité naturelle et il demeure soumis à rempire des habitudes acquises. La conception de la religion chrétienne était trop haute, car c’est un monde surnaturel qui vit dans l’évangile : à peine y est-on averti de la présence de la terre ; les pieds du Sauveur y glissent comme sur les flots, qui ont porté sans fléchir son corps impondérable ; le Christ semble toujours près de s’élever au ciel. Pour vivre avec lui, il faut avoir quitté tout ce qui est de la terre : famille, amis, maison, même le travail, et se confier à Dieu qui nourrit l’oiseau et revêt de splendeur le lis qui ne file point. Une seule lecture transporte l’homme dans une indécise région idéale, aux confins de l’humain et du divin, c’est la lecture de l’évangile. Mais combien d’esprits peuvent habiter l’idéal ? Combien de temps les plus élevés y peuvent-ils demeurer ? Dans les carrefours des villes juives, grecques ou romaines, dans les campagnes cultivées par les esclaves, sur les trônes et les chaises curules, dans les atria, dans les ateliers, dans les cabanes vivait l’humanité vraie, d’où le Christ