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tradition apostolique et de l’enseignement du Saint-Esprit. Les manifestations extérieures prennent une grande importance. Dans la primitive église, l’ascétisme était honoré comme un moyen de parvenir à la vertu, mais il n’était imposé à personne ; désormais il est prescrit par toute sorte de règles minutieuses. La renonciation au monde et l’absolu mépris de la chair, manifesté par l’horreur croissante pour le mariage qui est rabaissé à la qualité d’une infirmité nécessaire, sont réputées les plus hautes des vertus ; ce sont des vertus moindres que le jeûne et l’abstinence ordonnés à certains jours de la semaine et à certaines époques de l’année. L’aumône elle-même n’est plus libre. Conformément à l’usage de toute l’antiquité païenne et pour obéir à la loi de Moïse, qui a dit : « Tu ne te présenteras pas devant le Seigneur les mains vides, » l’église réclame les prémices et la dîme.

Il y a péril certain que le fidèle qui paie la dîme, jeûne aux jours prescrits et assiste exactement aux offices divins, n’estime avoir rempli son devoir de chrétien. Plus nombreuses et plus rigoureuses sont les obligations extérieures, plus vague et plus insaisissable est le vrai devoir intime. Déjà d’ailleurs l’église offre à la conscience du pécheur le facile moyen de s’apaiser. On trouve dans saint Ambroise la redoutable formule : « Tu as de l’argent, rachète ton péché, » et Salvien enseigne dans son traité de l’Avarice que la libéralité envers l’église est le plus sûr moyen de se rédimer du péché. Mais c’est dans le culte des saints qu’apparaît le mieux le caractère grossier des actes matériels de foi. Le contact d’une relique miraculeuse ne procure pas seulement la guérison d’une maladie ; il a des effets bienfaisans sur l’âme elle-même. Grégoire le Grand, envoyant à un roi barbare des parcelles des chaînes du bienheureux Pierre et des cheveux de saint Jean-Baptiste, lui dit que les chaînes qui ont lié le cou de l’apôtre le délivreront de ses péchés et que le précurseur lui assurera par son intercession l’aide du Sauveur. Aussi les reliques sont-elles recherchées avec passion. Les princes ne cessent d’en demander au pape, et les plus élevés se montrent singulièrement ambitieux : l’impératrice Constantine ne s’avise-t-elle pas un jour de demander à Grégoire la tête de l’apôtre saint Paul ? Le bon pape dut lui faire entendre que le saint ne se laisserait pas ainsi décapiter : « Les corps saints, dit-il, font briller autour d’eux les miracles et la terreur ; et, même pour prier, on ne s’approche point d’eux sans une grande crainte. Qui oserait les toucher mourrait. Aussi les Romains, lorsqu’on leur demande des reliques à l’occasion de la consécration d’une église, se contentent-ils de placer dans le tombeau un morceau d’étoffe ; ils l’envoient ensuite à l’église nouvelle, où il opère autant de miracles que les reliques elles-mêmes. » Tout ce que peut faire Grégoire pour