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avec Dieu, la philosophie, après quelques instans d’hésitation, de doute et de dédain, étudia cette solution, la plus admirable qui eût été trouvée, du problème des relations de l’homme avec Dieu et avec l’homme. Platoniciens, qui creusaient sans se lasser l’enseignement du maître sur la manifestation de l’infini dans le fini et de Dieu dans la nature et dans l’âme, disciples consciens ou inconsciens de Zoroastre qui expliquaient l’origine du mal par la coexistence de deux principes, apportèrent dans l’examen de la doctrine nouvelle les traditions de leurs écoles. Il y eut, au Ieret au IIe siècle, une sorte de reconnaissance faite par l’esprit humain autour du christianisme ; après quoi, les philosophes entrèrent dans l’église, mais en demeurant des philosophes. L’école d’Alexandrie enseigna que la philosophie avait été la préparation du christianisme chez les païens, comme l’Ancien-Testament chez les Juifs. Elle rapprocha l’Ancien-Testament et la philosophie par cette théorie que le Verbe, qui a été la parole de Dieu dès l’origine, a semé la vérité dans les écrits profanes comme dans l’écriture. Elle crut ou fit semblant de croire que Platon avait connu les livres saints et elle le transforma en un disciple de Moïse. Elle fit ainsi de l’histoire intellectuelle et morale de l’humanité une grande synthèse qu’elle donna pour piédestal au christianisme. Il y eut alors un accord de la foi et de la philosophie, la philosophie étant réputée seule capable de pénétrer le sens profond de la foi, et peut-être n’est-il rien de plus beau dans les annales de l’esprit que la doctrine de l’alexandrin Origène, où se concilient dans une harmonie sublime l’éternelle activité de Dieu et l’impérissable liberté de l’homme. Mais l’accord ne pouvait durer. La philosophie et la religion s’étaient rencontrées à un certain moment dans l’âme de certains hommes, mais il fallait bien que celle-ci s’arrêtât, puisqu’une religion est une solution définitive, et que la philosophie continuât sa route, puisqu’elle est une recherche perpétuelle.

Au temps même où la critique platonicienne s’exerçait librement sur le dogme, naquit l’autorité. La lutte du christianisme contre les païens et contre ceux des philosophes qui, n’étant chrétiens que par métaphysique, faisaient bon marché de la foi positive, fit naître deux idées corrélatives, l’idée d’une église catholique seule en possession de la vérité, et l’idée ecclésiastique de l’hérésie. Hérésie signifiait dans le langage philosophique choix d’une opinion ; cela signifia dans le langage ecclésiastique choix d’une opinion mauvaise, erreur condamnable et damnable. Pour prémunir les fidèles contre la perdition, l’église écrivit la règle de la foi. Bientôt l’hérésie se montra sous une forme étrange : le manichéisme, produit d’un mélange de la philosophie grecque avec la religion zoroastrique,