Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvemens politiques, les paysans et les acquéreurs des biens nationaux qui redoutaient d’être inquiétés, tous les intérêts groupés commençaient à être mécontens et encourageaient les nouveaux élus dans leur opposition aux conventionnels. Le directoire était même impuissant à réprimer les désordres qui alarmaient la province. Les routes n’étaient pas sûres : des bandes de brigands arrêtaient les voitures, pillaient les maisons de campagne. L’indignation des rentiers était à son comble. Le crédit public ne renaissait pas. Les mandats avaient le même sort que les assignats. Les contributions de guerre payaient heureusement les dépenses des armées ; mais de pauvres gens mouraient d’inanition dans la rue. Avec cela, la presse était sans doctrine et sans frein.

C’est dans de telles circonstances que l’ancien parti constitutionnel tentait de réformer les lois révolutionnaires. Avant d’entrer en lutte avec le pouvoir exécutif, il essaya la conciliation. Les présidens des deux conseils, Portalis et Siméon, apportèrent dans ces tentatives toute l’autorité de leurs noms. Mais la majorité du directoire décida le coup d’état du 18 fructidor. La haute bourgeoisie fut le plus atteinte; et, pour mettre le comble aux illégalités, la même pression inique faisait annuler dans la journée du 22 floréal les élections de sept départemens et exclure trente-quatre députés modérés.

La révolution de fructidor ne résolvait pas les difficultés ; elle les reculait. Rappeler dans les emplois les jacobins, proscrire en masse ceux qui déplaisaient, briser les imprimeries, tout cela ne préparait pas l’avenir. En détruisant l’inviolabilité du corps législatif, le directoire se suicidait. Il apprenait à l’armée comment on opprime les assemblées délibérantes. La défiance et l’envie dont les jacobins étaient pénétrés les uns contre les autres étaient pour leur gouvernement un principe de mort. On faisait tout vis-à-vis de la bourgeoisie pour lui rendre la république haïssable.

Comme aucun salon ne s’était rouvert dans les villes de province, et les cafés avaient pris de l’importance. Ils réunissaient chaque soir les personnes appartenant au commerce, au barreau, que la conformité des opinions tenait en rapports continuels. Les habitudes aussi se modifiaient; on vivait moins chez soi, et les bonnes manières s’en allaient peu à peu: mais aussi, au point de vue de l’action, les convictions modérées se groupaient et reprenaient courage.

Hormis dans le midi, où elles avaient été tumultueuses, les élections du troisième tiers amenaient des départemens une nouvelle série d’administrateurs, d’hommes de loi, d’esprits distingués, tous choisis dans ces inépuisables classes moyennes qui sauvaient la France. C’était un symptôme nouveau.

Si, à Paris, la société offrait un curieux mélange de types de l’ancien