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de Paris étaient couverts d’affiches en style presque académique, annonçant des bals de toute condition et à tout prix. On dansait jusque dans les monastères et dans les églises ruinées, jusque sur le pavé des tombes que l’on n’avait pas encore enlevées. Certains bals bourgeois, ceux de Ruggieri ou de la rue Richelieu, devenaient des agences matrimoniales. Pour la présentation, le bal remplaçait le couvent. Jadis, le prétendant allait voir sa fiancée à la grille; l’entrevue a lieu chez le maître à danser. Il y avait à Paris une maison dans laquelle se réunissait la meilleure compagnie, c’était celle de Despréaux, le maître de danse qui avait épousé la Guimard. La réputation de ses soirées attirait les héritières les plus riches, comme Mlle Perregaux, celle qui épousa le maréchal Marmont. L’égalité la plus parfaite régnait dans ces réunions. La noblesse ayant été abaissée et la bourgeoisie relevée, on se trouvait rapproché sur une ligne moyenne où personne n’humiliait ni n’était humilié.

Peu à peu quelques salons s’ouvrirent : d’abord, celui de Mme Hainguerlot, salon d’une tenue irréprochable, où les débris des constitutionnels se rencontraient; celui de Mme Dévalues, la femme de l’ancien receveur des finances, qui avait pris la Révolution en exécration, incapable de nuire aux gens qu’elle n’aimait pas, mais capable d’un vrai dévoûment pour ses amis, sachant concilier les relations anciennes et les nouvelles, rapprocher Suard, l’abbé Morellet et Siméon et Thibaudeau ; celui de Lenoir, la maison de l’Homme aux quarante écus, comme on l’appelait. On y faisait des soupers charmans, grâce à l’esprit fin et judicieux d’Andrieux, à la verve et à la haute bonhomie de Talma. Une nouvelle venue dans la haute bourgeoisie, Mme Hamelin, mariée à l’opulent fournisseur aux armées, réunissait autour d’elle le monde de la finance, les personnages à la mode, qu’elle éblouissait de sa beauté.

Les bourgeoises réagissaient contre les robes diaphanes, contre les tuniques à la grecque, contre ces étalages de nudité qui, à la fin, amenèrent les sifflets et les haut-le-cœur. Un soir de première représentation à l’Opéra, la salle était remplie et le parterre composé de jeunes élégans, très impatientés par le retard qu’on mettait à commencer. Ils s’occupaient des toilettes des arrivans. La comtesse de R.., revenue de l’émigration, entrait, entourée de mousselines légères, avec un voile à l’Iphigénie, retenu par une couronne de roses blanches. Elle avait cinquante ans. Le parterre fit entendre des huées et siffla. Au même instant, se montrait, dans une loge joignant l’amphithéâtre, une des jeunes femmes les plus distinguées du haut commerce parisien. Mme V... Elle avait une robe de velours noir montante, avec une agrafe de diamans. Le parterre applaudit à tout rompre. Ce fut, pendant une semaine, le sujet de toutes les conversations mondaines.