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Cet écrit primitif donna le ton à ceux qui suivirent, un ton qui n’est ni celui de l’histoire, ni celui du roman, ni celui du mythe, ni celui de l’anecdote, et auquel on ne peut trouver d’analogie que dans certains récits arabes antéislamiques. Le tour de la narration hébraïque, juste, fin, piquant, naïf, rappelant l’improvisation haletante d’un enfant qui veut dire à la fois tout ce qu’il a vu, était fixé pour toujours. On en retrouvera la magie jusque dans les agadas de décadence. Les évangiles rendront à ce genre le charme conquérant qu’il a toujours eu sur la bonhomie aryenne, peu habituée à tant d’audace dans l’affirmation des fables. On croira la Bible, on croira l’Évangile, à cause d’une apparence de candeur enfantine, et d’après cette fausse idée que la vérité sort de la bouche des enfans : ce qui sort, en réalité, de la bouche de l’enfant, c’est le mensonge. La plus grande erreur de la justice est de croire au témoignage des enfans. Il en est de même des témoins qui se font égorger. Ces témoins, si fort prisés par Pascal, sont justement ceux dont il faut se défier.


IV.

A côté de l’idylle ou, si l’on veut, du roman patriarcal, il y avait la tradition héroïque, celle-ci bien plus près de l’histoire et qui n’était en quelque sorte que la continuation de la légende des Pères. Caleb et Josué étaient à la tête de ce cycle nouveau, qui se rattachait ainsi directement à la délivrance censée accomplie par Moïse. Ici, les élémens traditionnels abondaient. Israël possédait un riche écrin de chants populaires, remontant à deux ou trois siècles, et se rapportant le plus souvent à un fait historique dont le souvenir direct s’était perdu. Parfois le chant populaire contenait des indications suffisantes pour reconstruire le récit du fait; parfois ces indications manquaient ou prêtaient au malentendu ; alors c’était l’imagination des âges postérieurs qui y suppléait. Le Kitab el-Agani des Arabes est le type de ces sortes de compilations, où des chants longtemps gardés par la tradition orale sont enchâssés dans un texte en prose, qui les explique. Le principe, en pareil cas, est que la pièce en vers est antérieure à son préambule en prose, lequel n’en est que le développement, le commentaire souvent erroné.

Les plus anciens chants nationaux d’Israël remontaient à l’origine même de la vie nationale, à ce moment où les Beni-Israël, émancipés de l’Egypte, essayaient de sortir du désert, et contournaient du côté de l’Arnon, le pays de Moab. Le chant de Beër, le chant sur ta prise d’Hésébon, se perdent, comme des étoiles du matin, dans les rayons d’un soleil levant historique. Les petits maschul de Balaam s’y rattachaient de très près. Le chant sur la bataille