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qu’Israël occupe une place à part dans l’histoire du monde. La création de la religion pure a été l’œuvre, non pas de prêtres, mais de libres inspirés. Les cohanim d’Israël n’ont été en rien supérieurs à ceux du reste du monde ; souvent même l’œuvre essentielle d’Israël a été retardée, contrariée par eux.

Ce développement extraordinaire, qui est comme le tronc de l’histoire religieuse de l’humanité, commence dans le royaume d’Israël, sous cette dynastie d’Achab qui chercha vainement, en suivant les traces de Salomon, à faire dévier Israël du côté de la civilisation profane. Élie, Elisée, appartiennent tout entiers à la légende. On ne sait d’eux qu’une seule chose, c’est qu’ils furent grands. L’apparition qui se couvre de leur nom est peut-être l’événement décisif de l’histoire d’Israël ; ils sont le premier anneau de la chaîne qui, neuf siècles plus tard, aboutira au christianisme. Le iahvéisme, qui, à Jérusalem, n’était qu’un culte, devient, dans les écoles de prophètes, un ferment religieux de la plus haute puissance. Le prophète, n’étant pas prêtre, n’avait pas le boulet que traîne aux pieds tout corps sacerdotal. Le prophétisme du Nord n’a pas seulement créé Élie, il a créé Moïse, il a créé l’Histoire sainte ; il a créé le premier germe de la Thora. Horriblement fanatiques, ces sombres voyans servirent la liberté de l’esprit, comme Knox et Calvin ; ils furent des émancipateurs sans le vouloir, car ils combattirent la pire des tyrannies, la connivence des foules ignorantes avec un sacerdoce avili.

Le fanatisme, en effet, peut avoir des conséquences très différentes, selon le motif qui l’inspire. Il y a une différence sensible entre le fanatisme sacerdotal et le fanatisme d’illuminés laïques. Le protestantisme, qui, à l’origine, impliqua des élémens assez analogues à ceux du prophétisme Israélite, est devenu, avec le temps, quelque chose de libéral, tandis que le fanatisme catholique, tel qu’on le voit d’abord dans Philippe II et dans Pie V, n’a fait que du mal et ne s’est jamais transformé. Les prophètes du temps d’Achab, malgré des passions ardentes et de graves malentendus théologiques, peuvent être considérés comme des hommes de progrès. Ils étaient à deux pas d’affirmer que Iahvé est le Dieu absolu. Ils revenaient, après une longue suite d’erreurs et de superstitions, à l’élohisme de l’âge patriarcal. Un étonnant orgueil de race devint dès lors le mobile fondamental de la vie d’Israël. Israël était le peuple de Iahvé ; c’était là dire peu de chose : Moab, aussi, était le peuple de Camos. Mais tout était changé depuis que Iahvé ne se distinguait pas du Dieu même qui a fait le ciel et la terre, du Dieu de la justice et du droit. Au lieu d’avoir, comme tous les peuples, un dieu national, Israël devenait ainsi l’élu de Dieu, le peuple de choix de l’Être absolu, le peuple unique. L’histoire de ce peuple ne devait dès lors ressembler