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Ces singuliers réformateurs, qui veulent faire de l’enseignement public un instrument de règne, se sont exposés à entendre l’autre jour un sénateur leur dire ironiquement : « Ah ! si on avait parlé ainsi sous l’empire, vous auriez poussé de beaux cris ! » Tout ce que les républicains ont reproché aux autres, en effet, ils le font aujourd’hui avec aggravation, et c’est parce qu’ils n’ont pas plus de mémoire que de prévoyance qu’ils en sont à se débattre au milieu de toute sorte d’œuvres sans avenir, dans une tranquillité précaire qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir défendre.

Si les Français d’aujourd’hui ne sont pas arrivés à savoir se conduire, ce n’est pas faute de pouvoir s’éclairer de toutes les expériences du passé. Ils n’ont qu’à lire dans leur propre histoire, l’histoire de ce grand et malheureux pays de France, à rouvrir de temps à autre les annales du siècle, ils y retrouveront tous les spectacles instructifs, les révolutions, les guerres, les fautes des hommes et des partis. Ils n’ont qu’à regarder derrière eux pour voir passer et se succéder, comme dans une galerie mobile, cinq ou six gouvernemens qui se sont tous promis d’être définitifs et éternels, et dont les plus heureux, les plus durables, n’ont pas vécu vingt ans. Ils ont eu sans doute leur raison d’être, leur destinée, leur caractère, ces gouvernemens dont quelques-uns ont été l’honneur de la France et auraient mérité de vivre. Ils ont représenté des idées ou des traditions différentes, ils ont été l’expression vivante et originale des opinions, des sentimens, des vœux du pays à un instant de l’histoire. Ils avaient évidemment aussi quelque faiblesse secrète, puisqu’ils n’ont pas pu aller au-delà de quinze ou dix-huit ans, au plus, — au-delà de la génération qui les avait vus naître. Ils ont eu un trait commun : ils ont péri moins sous les coups de leurs ennemis, dix fois vaincus, que par les divisions et les querelles intestines, parce qu’après avoir épuisé leur sève et leur force d’impulsion à disputer et à conquérir leur existence, ils ne se sont pas renouvelés, parce que le moment est venu pour eux où ils ont eu les faiblesses, les aveuglemens du règne et du succès. C’est le destin de ce régime de juillet, qui n’a pas été plus heureux que les autres, que M. Paul Thureau-Dangin fait revivre dans une œuvre aussi intéressante qu’instructive, — Histoire de la monarchie de juillet, — en se servant de tout ce qu’il a pu recueillir de souvenirs, de confidences, de témoignages intimes des contemporains.

Qu’est-ce que cette époque de 1836-1840 que M. Thureau-Dangin aborde aujourd’hui dans le troisième volume de ses sincères et habiles récits? c’est justement l’heure décisive qui est la crise des gouvernemens nouveaux. C’est la transition entre les premières années de combat où toutes les volontés, toutes les intelligences, tous les courages se sont unis pour faire face à l’ennemi, pour fonder la monarchie