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dépendrait toujours d’une délation, d’un emportement de majorité; ce serait, en un mot, l’arbitraire légalement établi pour cause de suspicion ! c’est toujours là qu’on en vient avec une question de ce genre, qu’on ferait beaucoup mieux de ne pas soulever, — et à laquelle l’intervention du prince Napoléon n’ajoute certes rien de bien sérieux. Le prince Napoléon a voulu, sans doute, faire parler de lui : il a cru devoir mêler à un incident assez délicat par lui-même un peu d’excentricité, et il a écrit une lettre où il dit toute sorte de choses étranges, inattendues, — qu’il n’a jamais été dans les rangs des émigrés, qu’il est le descendant de Napoléon Ier, qu’il a été désigné par sept millions trois cent mille suffrages, mais qu’il est républicain, et que, si l’on veut expulser, il faut aller à la maison voisine, pas chez lui, seul et vrai défenseur de la révolution française ! Voilà qui est entendu et qui est certes fait pour recommander le prince Napoléon à la confiance nationale aussi bien qu’aux républicains qui méditent des mesures contre les princes.

Non, assurément, ce n’est pas avec des propositions de colère et d’expulsion qu’on peut espérer relever la direction des affaires, rendre au pays la sécurité, la confiance. Ce n’est pas non plus apparemment, en poursuivant avec un redoublement de passion vindicative et puérile la guerre aux croyances, en mettant comme une acrimonie nouvelle dans les affaires de religion et d’enseignement que le gouvernement peut compter refaire une situation moins troublée, moins incertaine. M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, pour sa part, est depuis quelque temps engagé dans une singulière campagne, où il peut se promettre sans doute l’appui des passions radicales qu’il flatte, mais où il prépare, à coup sûr, à la république d’étranges difficultés par la légèreté imprévoyante et tranchante avec laquelle il traite toutes les garanties libérales aussi bien que les sentimens religieux. Il ne s’arrête devant rien, et il y a dans cette politique, il faut en convenir, quelque chose de plus triste, de plus blessant que la guerre déclarée et ouverte: c’est la violence qui ne s’avoue pas, qui a la prétention de se déguiser sous de médiocres subterfuges de procédure et d’interprétation. M. le ministre des cultes, on le sait, a entrepris depuis les élections de « faire sentir son autorité, » selon l’expression de la déclaration ministérielle du mois dernier, aux ecclésiastiques qui lui ont été signalés comme suspects. Il n’a pas entendu les accusés et ceux qui pouvaient les défendre, il a frappé ! Il a privé une multitude de desservans de leur traitement et il a supprimé les vicaires partout où il l’a pu. Naturellement les évêques se sont émus; ils ont exprimé des plaintes plus ou moins vives, presque toujours modérées, dans des mandemens, dans des lettres pastorales, prévenant les paroisses que le service du culte pouvait être interrompu, ou faisant appel aux fidèles pour subvenir à l’entretien de leurs prêtres privés de leur traitement.