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l’enfance de notre art dramatique. C’est ainsi qu’en effet, au théâtre du Globe, du temps de Shakspeare et de Ben Jonson, un écriteau tenait lieu de décor aux imaginations anglaises ; c’est ainsi que chez nous, au commencement encore du XVIIe siècle, la caravane du Roman comique se déroulait sur nos grand’routes ; c’est ainsi que Molière lui-même, avec sa troupe, dont les sociétaires n’étaient pas encore ce qu’ils sont devenus, allait donner, pour un prix modéré, des représentations en ville… Seulement, jusque de nos jours, les choses continuent de se passer en Chine comme au temps des Kin et des Youen, en l’an de grâce 1886 comme jadis en 1325, et six siècles bientôt passés n’ont rien changé aux conditions de la scène chinoise.

Il est un dernier point sur lequel nous eussions désiré quelques renseignemens. Après avoir placé les commencemens du théâtre chinois au VIIIe siècle de notre ère, les auteurs en font l’histoire, la divisent en plusieurs époques, la conduisent régulièrement jusqu’au siècle des Youen, et tout à coup s’arrêtent, comme si le drame chinois, depuis lors, « avait fait son repos de sa stérilité. » Qu’est-ce à dire ? Et que devons-nous croire. « On joue sur le théâtre chinois, dit M. Paul Perny, des pièces qui ont de mille à douze cents ans de date : elles sont comprises comme si elles dataient d’hier ; » et il semble insinuer que ces antiquités formeraient, elles toutes seules, tout le répertoire du théâtre chinois. De son côté, M. Théophile Piry nous apprend que le roman des Pruniers merveilleux « forme le sujet d’une pièce de théâtre des plus goûtées en Chine, » et lui-même ne fait pas remonter la rédaction du roman au-delà du XVIIe ou XVIe siècle de notre ère. Nous savons encore que le Pi-pa-ki, ou Histoire du luth, qui peut-être serait le chef-d’œuvre du théâtre chinois, si ses dimensions n’en faisaient plutôt un roman dialogué qu’un drame ou une comédie, date à peine de la fin du XIVe siècle. Enfin tous les voyageurs nous parlent à l’envi des représentations dramatiques où ils ont assisté à Shanghaï, à Canton, à Pékin, et les titres des pièces qu’ils ont vu jouer ne ressemblent guère aux titres de celles que nous connaissons[1]. Cependant ni Bazin, dans sa Chine moderne, ni M. Paul Perny, ni M. Tcheng-ki-tong n’ont poussé leur histoire du théâtre chinois au-delà du siècle des Youen. La matière leur a-t-elle manqué, ou ont-ils fait défaut à la matière ? On aimerait au moins à le savoir, et le moindre renseignement de ce genre eût mieux fait notre affaire que les plaisanteries, fort agréables sans doute, quoique un peu vieilles peut-être, du général Tcheng-ki-tong sur « l’esprit de

  1. Voyez à ce propos : la Chine familière, par M. Jules Arène. Paris, 1883 ; Charpentier. J’y relève les titres suivans : le Rameau d’or battu, drame historique, et : Fou-pang laisse tomber son bracelet, la Fleur palan enlevée, la Marchande de fard, le Débit de thé de l’Arc de fer.